CUBA, JUIN 2018

 Cuba, juin 2018 


Texte du livre "Cuba"  

C’est avant la saison des pluies que nous avons été invités à rejoindre un nouveau retraité cubain, d’origine guatémaltèque, vivant à La Havane depuis son adolescence. Membre du parti, ancien fonctionnaire, ayant visité l’Europe depuis peu, il nous a présenté le Cuba de l’intérieur et fait connaître une partie de la ville dans laquelle très peu de touristes s’aventurent.

Quelques traits en oblique sur la République de Cuba.

A quelques encablures urbaines du centre de la capitale, nous sommes dans un lieu unique au monde : des êtres humains, loin de toute félicité propre à ce que devrait être un paradis socialiste, s’essayent à une survie au soleil, plutôt à l’ombre des anciennes demeures pré-castristes. 



Si la misère est moins pénible au soleil, les sourires sont ceux de la crispation de la soumission. Les plus entreprenants sont partis depuis des décennies au-delà de la mer, vers la Floride cupide. 

Eaux contaminées, bus surchargés, magasins non approvisionnés, rues défoncées, poubelles abandonnées, chiens fatigués, voitures rouillées et relookées : c’est La Havane du pourtour.



Au centre, les institutions de notre monde ont fait l’aumône à cette cité de se refaire une beauté offerte à ceux qui pourraient y gouter les fruits réservés aux initiés : initiés par cette monnaie qui permet de se glorifier de ce qu’on vient d’acheter. 

Il n’y a pas de murailles qui défendent cette cité au cœur des emmurés par la pauvreté : qu’y feraient-ils ?



La route qui relie la capitale aux anciennes villes coloniales du sud emprunte au gigantisme yankee sa largeur, au laisser-aller tropical la déficience chronique de l’entretien des routes, à la palabre latino-américaine toute la signalisation routière et à la langueur des Caraïbes la monotonie du parcours.



La petite ville de Cienfuegos nous offre, grâce aux fondateurs français de la cité et aux fonds de l’UNESCO, un cœur plein de fraicheur, d’ordre , de couleurs pastel et une bonhommie qui semble inconnue dans la capitale. Quelques rues commerçantes, animées le matin avant les trop fortes chaleurs, des boutiques ambulantes destinées aux touristes et proposant les mêmes objets sans objet.




Le soir, c’est le socialisme intégral qui étend son pouvoir sans partage dans les rues du pourtour : plus de classes, plus de privilèges : tous et dans tous les sens sans lumières. Il appartient aux porteurs des feux les plus puissants de prendre soin de ceux qui n’en possèdent pas. Le socialisme sait où il va, même dans l’obscurité. 

Maintenant, la route étroite, en montagne russe faute de n’être plus soviétique, conduit vers une mini-chaîne montagneuse surplombant une mer des Caraïbes qu’on nous promet bleu, bordée par des plages de sable blanc, sans fin. Que seraient devenus les anciens propagandistes du castrisme le plus pur sinon travailler, dorénavant, dans les agences de communication du ministère du tourisme ? 

Un barrage de police permanent, en haut d’une côte, avec un abri en dur sous un arbre tropical – Saint-Louis aurait pu l’échanger contre son chêne – nous arrête dans notre course vers l’eldorado post-castriste, maintenant libre de toutes contraintes, presque, empêchant le petit commerce. Le regard lourd de fatigue, l’étonnement de croiser celui d’étrangers dans un lieu surtout visité par les moustiques, la pénible perspective d’expliquer pourquoi être contrôlés : nous repartons. 



La mer apparait : elle est bien bleue, puisque le ciel l’est. Sommes-nous toujours le reflet de ce qui nous domine ? Quelques criques n’abritant que des lambeaux de ce sable blanc notifié nous font l’annonce d’un futur en accord avec les promesses de lendemains ensablés.



Trinidad : tous les guides la glorifient, l’exaltent. Du haut des plans des guides, on croirait une ville, du bas des rues aux noms faisant l’annuaire des révolutionnaires, nous sommes dans cette ville du début du Salaire de la Peur. Le soleil est le pire des staliniens : il rabaisse tout le monde, gare à ceux qui revendiquent leur place au soleil. Il ne pardonnera pas. Heureux celui qui aimera l’ombre. 



La route qui mène vers les plages célèbres n’est pas indiquée. A quoi bon ! les autochtones connaissent. La plage est longue, le sable s’étend sur une faible largeur, les galets roulent sur nos chevilles, qui ne sont plus ouvrières. Aujourd’hui, ce n’est pas le jour de repos hebdomadaire gagné sur les possédants, c’est le jour ordinaire : les travailleurs et les travailleuses, très rares, qui possèdent une vieille Buick enfumée ou une Lada délavée, en congé, peuvent venir gouter des plaisirs roboratifs des bains de mer, écouter la musique locale en reprenant à tue-tête les hits du moment et en jetant par-dessus l’épaule leurs bouteilles de bière vides : héritage des Russes blancs qui par atavisme, épigénétique maintenant, ont passé cette tradition aux pionniers soviétiques, puis aux castristes.



L’amour fraternel socialiste s’étend également aux animaux. Les canidés sont laissés en liberté, circonscrite. Le chien suit sa chienne du moment avec toute l’exaltation de l’acte de procréation à venir, au plutôt.

Il en est de même avec les animaux humains : mais comment utiliser le romantique et l’abandonner dans l’abandon de la volupté. Au concert nocturne de musique cubaine, entre Piña colada et Mojito, les jeunes filles ou plutôt les jeunes femmes, souvent en binôme, peut-être amies du club fitness, regardent avec tristesse ces éphèbes qui vont bientôt quitter cette assemblée pour consommer entre eux l’amour propre aux convives des Banquets de Platon. Ces deux autres jeunes hommes, envieux des couples dansant aux rythmes tropicaux, laissent toute convenance et retenue pour déjà consommer du regard la vertu encore pudique des visiteuses lointaines. Mais le seul regard nostalgique est celui des vieilles femmes qui ne croient pas à leur âge et qui regardent ces mêmes couples en imaginant un futur leur garantissant une jeunesse, non pas éternelle, mais seulement avec une permission qui dépasserait le minuit du Bal de Cendrillon.



Tous les guides déconseillent fortement de conduire la nuit sur les autoroutes menant ou sortant de La Havane : c’est là que les Havanais placent l’enfer. Toutefois, il est bon de retrouver nos amis Cubains et reprendre la visite de la ville.  

L’ancien hotel Hilton de La Havane se visite comme un monument historique. Il a été le lieu de combats qui semblent être similaires à ceux de la libération de Paris : soldats de la dernière heure posant pour la postérité et nullement effrayés par les éclats sauvages des flashs des journalistes. 



Le « Lider Maximo » avait voulu, dans un élan qu’il avait peine à suivre, que le « pueblo unido » ne vive, ne se déplace, ne pense, n’écoute qu’en commun. Hélas, faute de trains, de bus, d’asphalte, il a fallu laisser au commun les affaires communes, pas toutes. Ainsi, la voiture, maintenant monstre polluant en Occident, et aussi en Orient, est devenu, ici, la plus communiste conquête de l’homme, indispensable aux nouveaux « caballeros » de l’ile : une rossinante plutôt qu’un fougueux étalon, rejetant une déjection noirâtre faisant suffoquer les « gringos » invités à laisser sur l’ile leurs monnaies convertibles. 

Nous sommes sous les tropiques, sous le soleil, exactement. La Nature, Dieu avant la révolution, offre des paysages de paradis. L’Eden devait être sur cette ile et c’est pourquoi Castro s’est pris pour le dernier prophète. Les sierras s’inscrivent dans le nombre d’or, à la bonne hauteur pour un monde idyllique, juste comme il faut, comme les arbres, les fleurs. Ah, les fleurs de Cuba : si belles que les beaux oiseaux les convoitent autant que nous. 



La nature, donc, a fait l’homme, un homme qui s’adapte selon les circonstances, mais différemment tout de même. Si tout est calme, l’homme sera calme. Ici, les révolutions, les ouragans et les discours fleuves du Lider Maximo ont fait l’homme résigné. Cette résignation se retrouve dans les communauté mahométanes –  In Shaa Allah    (إن شاء الله) –  comme dans l’économie du vêtement, la surface maximum de l’habit d’une femme cubaine est inférieure à celle du plus petit foulard dit Islamique – hijab ( حِجَاب ) – comme dans les boissons où la menthe relève le thé là-bas, et ici le mojito. 



Toutefois, pour éviter un collapsus définitif de l’économie planifiée et éviter l’avortement de l’homme nouveau « sovieticus », les autorités cubaines ont ouvert le « petit commerce », sans régulation et donc donné la preuve des thèses de Thomas Hobbes (1588 – 1679) : « L’état de nature est un état de guerre de tous contre tous ». Hormis le prix des menus pour les touristes et les prix de ce qui se trouve dans les très rares minimarchés, le reste est à négocier, mais même négocié le prix définitif va changer. La monnaie cubaine convertible s’achète 1,18 € à l’aéroport et 0,88 € au guichet de la banque publique en banlieue. 



La sévérité du quotidien a fait de beaucoup de Cubains un « mecaniqueros » (débrouillard) : échange des rations de café, savon, tabac, pain ; gardiennage des rares voitures ; guides touristiques aux prix exorbitants ; faux taxis en maraude venant concurrencer les trois autres classes de vrais taxi … Pour maintenir un semblant de cohésion, le credo castriste est répété, afin qu’il infuse dans chacun des interstices cérébraux des fidèles puis se diffuse parmi la multitude. Rien ne manque à cette religion, la violence et le sacré : le diable Étatsunien, le malin omniprésent et incapable de rédemption, la bête de l’Apocalypse, et le Socialisme, sacré qui ne pourra que vaincre, juste avant la fin des temps.

Mais il y a ce ciel, cette mer, cette chaleur, ces maisons aux couleurs de la terre, cette pluie salvatrice du moment, ces collines dessinées par un doigt éternel, ces sourires qui ne demandent qu’un autre sourire en retour et c’est ainsi que nous laissons notre monnaie, sans regret. 

Coup de cœur ?

Nous sommes tous embarqués sur cette planète avec une vision du monde qui nous est propre et nous évacuons toute intrusion de la vérité qui viendrait briser nos rêves et dessiller nos regards.



Cuba est le creuset des idées fausses, alors il est difficile de décrire cette république qui a rendu plus « communistes » les touristes que ses habitants. Les statistiques émises par le gouvernement, donc par le parti communiste, sont fausses et difficilement contrôlables.

Il nous a été plus facile de nous imprégner de ce pays par le cœur que par l’esprit.

Il est le reflet de nos faiblesses, de nos cupidités et de nos lâchetés, et rarement de nos grandeurs.  

Il est le « spleen » de Baudelaire au soleil.



Les coups de cœur finissent toujours mal. J’aime voyager, là et ailleurs. Cuba m’a rempli l’âme, comme là et ailleurs.


Alain Le Falher









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