FUREUR ET DELIRE : UNE HISTOIRE

 



Depuis mon enfance, l’âge de raison, j’ai toujours été stupéfait par la violence. La guerre était omniprésente par les témoignages de mes proches. Elle semblait être un état naturel à l’homme. Nulle prise sur moi des éclats des héros de l’histoire de France. Lorsque je découvris, à peine adolescent, les horreurs du nazisme, je fus abasourdi. Cette violence m’était insupportable et constituait une énigme incompréhensible.   

Je vais tenter de résumer, maladroitement et en simplifiant outrageusement, ce que je crois être l’histoire de la violence. 

L’hominidé que nous sommes débouche à peine de l’animal. Son évolution s’étend sur plusieurs millions d’années. L’instinct animal, peu à peu, laisse la place à la raison, au Logos (λόγος).

L’histoire montre que la violence prédomine encore : guerres incessantes et maintenant l’équilibre de la terreur nucléaire – dont nul ne peut nous prédire l’avenir. 

La violence a été nécessaire à l’espèce humaine pour survivre – c’est la raison suprême des créatures.

Cet instinct a été bien compris par Spinoza dans son Ethique (« Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être. »)

Les premiers hominidés, trop faibles, n’avaient comme armes de survie, que la capacité à mieux raisonner (relativement) que l’animal sauvage, et la violence ( le début de « 2001 L’Odyssée de l’espace »).

Toutefois, la structure des groupes de primates avec le mâle alpha et la soumission totale des membres ( plusieurs dizaines), avant un nouveau combat pour le remplacement du mâle dominant qui perd un dernier combat (domination qui peut durer plus de dix ans) n’est plus opérante pour les hominidés qui conjuguent forces supérieure (taille, masse), capacité cognitive en progrès et violence exacerbée.

Le Darwinisme, le combat pour la vie, s’applique, bien sûr, pour les hominidés et plus particulièrement pour les hominidés tardifs, l’homo sapiens (le mal nommé). 

Violent par nécessité pour leur survie face à un règne animal hostile, avec peu de réconfort d’une nature peu généreuse, hormis quelques zones privilégiées formant l’Eden des textes anciens, l’homme subit sa propre violence lorsqu’elle s’exerce contre son groupe, sa communauté, pour l’acquisition des femmes, des armes, des objets, des territoires.  

Le risque de disparition des communautés d’hominidés, des premiers hommes, était donc grand, voir envahissant. Nous ne pouvons exclure cette hypothèse. La vision Rousseauiste d’un homme bon, avant le péché originel, corrompu par la civilisation est pour moi totalement romantique.

Les premiers hommes, disons il y a plusieurs centaines de milliers d’années, luttent contre les dangers extérieurs, gardant en cela leurs potentiels de violence et essayent de se prémunir des dangers de dislocation interne généré par les rivalités incessantes.

Alors que l’on voit des primates s’acharner sur un ennemi lors des combats entre groupes, jamais il n’est fait mention d’un acharnement sur le perdant lors du combat pour devenir le mâle alpha. L’instinct les préserve de ce risque de violence pour la violence. Le Darwinisme expliquerait facilement que si cela avait le cas, c'est-à-dire la violence interne au groupe, alors les hommes se seraient entretués jusqu’au dernier, ou presque.

Chez les premiers hommes, après le lent effacement de la structure sociale autour du male alpha, la violence intra-communautaire s’étant accrue, notèrent que le groupe retrouvait son unité après qu’ils eurent achever, dans une violence totale, leurs ou un ennemi ou tout autre humain étrange ou étranger passant à leur portée.

Les premiers hommes considérèrent donc le fait de tuer, ensemble, un homme dans un excès de violence, apportait un apaisement à la communauté.

Il dut donc y avoir des événements tels - la conjonction d’excès de violence et de la cruauté à achever la ou les victimes (se terminant par l’anthropophagie)-  que la résultante d’apaisement fut considérée comme magique, le résultat d’un acte divin. La victime devient un dieu, autre que ceux attribué à la nature (vent, tonnerre, pluie…).

Tout était divin mais aussi tout se rapportait à l’instinct : il fallait croire son instinct pour la survie et la prise en compte des événements naturels. L’analyse du réel entrait dans la sphère de la communauté pour la fabrication des outils, des armes, des habits, des abris … L’apprentissage se faisait par un sens aigu de l’imitation. 

Nous sommes alors, en toute hypothèse, à un moment de l’évolution des premiers hommes où les communautés sont peu nombreuses, mais connues par chacune d’elle si à proximité,  constituées de peu de membres (rarement plus d’une centaine), cherchant à aiguiser leur capacité à imiter pour accroître leurs équipements, et ayant constaté que la tuerie opportune d’un ou plusieurs hommes, souvent ennemi ou simplement étranger à leur communauté, apportait une paix, qui par ailleurs était toujours en péril.

Je schématise à souhait, bien sûr.

Les premiers hommes en déduisirent, instinctivement, qu’il fallait reproduire, rituellement, cette tuerie pour apporter la paix et faire de cet événement un acte sacré. Ce furent les premiers sacrifices humains qui perdurèrent dans la Grèce Classique jusqu’au 1er siècle avant JC, sans parler des sacrifices chez les précolombiens et le sacrifice d’Isaac par son père, Abraham.

Les hommes de ces communautés archaïques, malgré la paix retrouvée par les sacrifices humains sanglants, toujours mus par leur violence intrinsèque et leur goût pour l’imitation furent confrontés aux rivalités internes pour un statut social dans le groupe ou l’appropriation de femmes, d’armes, d’objets.

Il fallut donc que les communautés s’organisent, non pas pour une meilleure administration de leurs groupes, mais pour éviter que la violence vienne les détruire, malgré les effets apaisants des sacrifices humains.

De là naquirent les interdits et tabous : exogamie pour les femmes, métiers interdits pour la distribution de la nourriture, statut particulier pour le traitement des morts, étapes d’initiation, fonctions limitées dans le temps, cérémonies sacrificielles …

Ces structures anthropologiques se retrouvent dans toutes les communautés archaïques. Elles ont perduré pendant des dizaines de milliers d’années. Elles ont permis une relative stabilité des communautés, endiguant la violence des hommes par les barrières dressées par les interdits, évacuant cette même violence lors des sacrifices humains et permettant aux plus violents et aux plus téméraires de conquérir les territoires voisins.

Seulement, l’évolution a fait qu’une certaine sensibilité a vu le jour chez quelques hommes : sages, philosophes, prophètes.

Alors pourquoi la violence n’a-t-elle pas disparue ?

Revenons aux principaux courants de l’histoire occidentale. La création de Rome commence par un crime, celui de Remus par Romulus, son frère, qui crée la cité de Rome. Romulus est divinisé et nullement condamné.

La genèse nous rapporte le meurtre d'Abel par Caïn, son frère, mais, je cite - Le Seigneur reprit : « Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre vers moi !

Il n’est donc pas divinisé et la Genèse induit la notion de prévention de la violence :

Et le Seigneur mit un signe sur Caïn pour le préserver d’être tué par le premier venu qui le trouverait.

Cain est aussi, comme Romulus, le créateur d’une ville : Il s’unit à sa femme, elle devint enceinte et mit au monde Hénok. Il construisit une ville et l’appela du nom de son fils : Hénok.

Nous voyons bien les analogies dans ces deux textes fondateurs, et aussi leurs différences flagrantes.


Revenons aux sacrifices humains, qui par leur cruauté, cèdent peu à peu la place aux sacrifices des animaux à un rythme vraisemblablement très élevé. De plus, il semble que l’élevage, à ses débuts, était destiné uniquement aux sacrifices, si on en croit les enclos réservés aux animaux dans certains sites préhistoriques où ceux-ci étaient proches des lieux de dévotion et éloignés des lieux d’habitation. 

Ce transfert vers l’animal des sacrifices ayant pour vocation l’apaisement des communautés se met à fonctionner moins bien, dès lors qu’ils devenaient moins sanglants. De plus, les rivalités entre sous-groupes s’exacerbent : les patriciens et les plébéiens, tyrans et démocrates à Athènes …


Les tragiques Grecs (Sophocle, Euripide ...) inventent un succédané du sacrifice devenu peu opérant : la tragédie Grecque qui met en scène des personnages avec toujours une victime pensée coupable, tuée atrocement à la fin de la pièce qui agit comme une catharsis, analogue à celle produite par le sacrifice humain d’antan. 


Malheur à celui qui dénonce les mensonges de cette mascarade : Socrate est condamné à mort et Platon hésite à dénoncer les mensonges. La géométrie grecque ne suffit pas à garantir la vérité sur les hommes.

Qu’en était-il du côté de Jérusalem : les textes montrent des analogies encore avec les textes grecs, mais le héros, « à la Œdipe », n’est pas coupable, réellement, et donc n’est pas sacrifiée (Josèphe et ses frères, Job).

Toutefois les interdits et tabous demeurent : classes sociales chez les grecs et les romains, pharisaïsme exacerbé malgré les prophètes tardifs chez les juifs, rites religieux compulsifs.

Les dirigeants romains, par instinct, avaient compris que les risques de dislocation des communautés pouvaient être endigués par le « Panem et circenses » : on passe en effet de 76 jours de jeux annuels à la fin de la République à 175 au milieu du IVe siècle. 64 jours étaient consacrés aux courses de chars avec 24 courses par jour. De fait, le Romain pouvait désormais « du matin au soir », suivre des compétitions sportives de tous genres.

Par instinct également, ils comprirent que le goût exacerbé des membres du groupe de population, appelé le peuple, pour la violence et les sacrifices trouverait son exutoire dans les combats de gladiateurs et les exécutions humaines les plus sanglantes, quelque fût le statut d’innocent ou de coupable de la victime, puisqu’il s’agissait de boucs-émissaires. 


La richesse de l’Empire Romain pouvait pourvoir à ces dépenses. Une fois les conquêtes terminées, la productivité en baisse, la natalité tombée, la fiscalité augmentée : l’empire ne pouvait que sombrer. 


Ainsi, il y a deux mille ans, que pouvait-on penser de l’homme, comment pouvait-on le définir ?

Pour la multitude, en occident, c’est-à-dire l’Empire Romain, c’était un être issu des Dieux, pris dans un maelstrom où sa vie était liée à un destin fixé par des Divinités aussi variées qu’hétéroclites. 

Les sacrifices humains s’espacent (Dans la Rome antique, durant la république, l'existence de sacrifices humains est attesté par Tite-Live et Plutarque) pour laisser la place aux sacrifices d’animaux qui restent les rites les plus importants et la catharsis s’opère également avec les exécutions au cirque qui remplissent la fonction de meurtre collectif rituel par procuration.

1200 ans avant , en Judée, le sacrifice humain remplacé par le sacrifice de l’agneau prend toute son importance avec le « sacrifice d’Isaac ». 

Ainsi, lentement, la prise en compte par certains homos sapiens du caractère « inhumain » du sacrifice des hommes engagent les communautés à délaisser ces rites (sauf chez les précolombiens).


Toutefois, le théâtre grec, les œuvres littéraires de la civilisation gréco-romaine, la morale du quotidien sont toujours en accord avec la théorie mimétique révélée par René Girard : la violence est canalisée vers un bouc-émissaire jugé coupable et cette violence fait suite à un désir mimétique qui induit des rivalités toujours grandissantes pour atteindre un point de non-retour qui est soit le lynchage réel, ou par procuration avec les gladiateurs et les exécutions publiques.


La civilisation antique est réglée par un système de castes induisant les interdits, une organisation des loisirs canalisant la violence et un sacré générant les tabous. La justice est une administration des biens et ne reconnaît pas la liberté individuelle. 

Alors que les romains, à l’instar des grecs, promulguent la loi des douze tables en – 450 av J-C , qui ne comportait que des règles de gestion des litiges, les hébreux avaient édictés les dix commandements plusieurs centaines d’années auparavant. 


Il y a 2000 ans, un homme, juif, prénommé Yeshua (ישוע) se présente sur la scène publique de la Galilée puis de la Judée. Il se dit le fils de l’homme, en relation avec le Père, qui est le Dieu des juifs. Le Dieu des juifs est abstrait, non représentable, au nom imprononçable, dépositaire de la vérité et il est le monde, la nature, ce qui est, et aussi la justice et la raison. 

Il choisit des disciples et parle en prophète en reprenant les paroles des anciens prophètes et celles des psaumes. 

Il se distingue de la tradition sacerdotale en prônant une conduite qui exige un retrait total de la vie communautaire qui règle les rites et les interdits (prière dans la pièce la plus reculée de la maison, abandon des interdits alimentaires, abolition des règles du sabbat …).

Il se sait condamné à terme par sa position entièrement tournée contre la hiérarchie religieuse juive (les pharisiens).

Il déclare que tous les hommes sont fils du Père (suppression des castes et des classes), que les lieux de prière n’ont pas d’importance (les rites sont abrogés par rapport au grand temple de Jérusalem), que les rivalités mimétiques, conduisant aux exécutions de boucs-émissaires comme celles des anciens prophètes, ne peuvent être éteintes que par la rupture intégrale et immédiate de la haine et de la vengeance ( tu aimeras tes ennemis).

C’est la révolution.

Mais Yeshua connaît le psaume 118 : La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l'angle.

Il sait qu’il sera rejeté, condamné et tué, mais qu’il doit devenir la pierre d’angle, par la « résurrection ».

Alors cet ultime sacrifice aux allures archaïques, jettera à la face du monde la vérité : vous avez jusqu’à maintenant tué des victimes innocentes que vous avez crues coupables, mais moi vous m'avez sacrifié, mais je suis innocent.

Il est mort au milieu d’une foule hostile qui, quelques jours avant sa mort, l’acclamait en sauveur, plus nationaliste qu’universelle, avec des apôtres qui ne comprenaient toujours pas ce qui se passait et qui pouvaient rejoindre la foule hurlante comme Pierre lors de ses reniements. 

La mise à mort, le fameux « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font », la mise au tombeau, le tombeau vide qui semble avoir plus d’importance que la résurrection chez Matthieu, précédent l’effusion de l’esprit saint lors de la fête de Chavouot, fête du don de la Torah, transformée en Pentecôte.

Le mot esprit est traduit du grec pneuma, souffle, qui en hébreu est à l’origine de la création d’Adam. Dans l’évangile de Jean, le français « esprit saint » vient du grec παράκλητος , paraclet, qui signifie simplement le défenseur, l’avocat de la défense, face à Σατανᾶς, Satan, provenant de l’hébreu  שָׂטָן, qui signifie l’accusateur. 

La théorie mimétique de René Girard explique alors la situation : l’accusateur des innocents, Satan, trouve face à lui, le défenseur, le paraclet, mise en lumière par Yeshua, Jésus, l’oint du Seigneur, מָשִׁיחַ, le messie, soit en grec, χριστός, christos, qui en étant crucifié démontre le sacrifice d’un innocent. Cette vérité ne peut se révéler complètement que par l’effusion de l’« esprit saint ».

L’évangile de Jean, peut-être influencé par la gnose, débute par ses mots très connus : au commencement était la parole - Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος – qui devrait se traduire par – dans le principe, la raison. 

Cette raison, appelant la rationalité, est repris dans la lettre de Saint Paul aux romains. Elle enjoint les hommes à rendre à Jésus, un culte rationnel.

Cette rationalité, elle se retrouve dans l’éthique de Spinoza, qui démontre « more geometrico » – selon l’ordre géométrique, à la manière des éléments d’Euclide, que la béatitude correspond à l’amour intellectuel de Dieu – ou la nature, naturante et naturée : naturante par la création et naturée par les créatures. Toutefois, l’homme, parcelle de Dieu est également une partie de la nature naturante et complète la création selon une sagesse éternelle.

Ainsi Spinoza, réputé athée, car sans religion, déclare-il au sujet du Christ : Aussi je ne crois pas que personne ait jamais atteint ce degré éminent de perfection, hormis Jésus-Christ, à qui furent révélés immédiatement, sans paroles et sans visions, ces décrets de Dieu qui mènent l’homme au salut.


Que peut-il être retenu des enseignements de Yeshua :

Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.

La traduction difficile de Μακάριοι οἱ πτωχοὶ τῷ πνεύματι, souvent traduit par les pauvres en esprit, ou pauvres d’esprit est cependant évidente : les riches sont avides, les pauvres se contentent.


Mais, en dessous d’un certain seuil, cette pauvreté n’est guère supportable, alors :

Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.

La vision romantique d’un Yeshua souhaitant la vengeance des pauvres contre les riches est erronée : il console les pauvres, pas seulement en esprit, et demande aux riches de cesser d'être riches, en esprit. Il sait trop ce qu’induit une « lutte des classes » : la violence sans le sacré.

Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. Si quelqu’un insulte son frère, il devra passer devant le tribunal. Si quelqu’un le traite de fou, il sera passible de la géhenne de feu.

Ici, il ne s’agit pas de morale ou de catéchisme : c’est la sagesse même et le respect intégral de la dignité humaine ; nous sommes tous fils du Père et à ce titre nul ne peut juger autrui et encore moins l’insulter ou le traiter de fou.

Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur.

Bien sûr, nous sourions tous, mais c’est d’une grande profondeur psychologique.

Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne manqueras pas à tes serments, mais tu t’acquitteras de tes serments envers le Seigneur. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas jurer du tout, ni par le ciel, car c’est le trône de Dieu, ni par la terre, car elle est son marchepied, ni par Jérusalem, car elle est la Ville du grand Roi. Et ne jure pas non plus sur ta tête, parce que tu ne peux pas rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir. Que votre parole soit “oui”, si c’est “oui”, “non”, si c’est “non”. Ce qui est en plus vient du Mauvais.

Remis dans le contexte de la casuistique pharisienne cela a tout son sens, mais cela a également son sens pour toutes les institutions : « made simple ».

Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre.

Ces versets sont célèbres. Il est absolument nécessaire de rompre le cycle de la vengeance et la montée aux extrêmes.

Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.

Ces versets sont le corollaire des versets précédents et sont, dans la culture mondiale, une première. De plus, le Père, donc Dieu, donc la nature ne fait pas de choix. Ce Dieu n’est donc pas un Dieu personnel qu’il suffit d’invoquer pour la pluie ou le soleil (ce qui est nouveau pour l’antiquité).

Yeshua désacralise le monde, Dieu est seulement amour et en contrepartie nous devons aimez Dieu, non pour attendre un retour personnel, mais pour l’imiter dans son amour - ἔχετε ἐν ἑαυτοῖς (amour de dieu)

Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.

Pas de basilique, pas de monuments, un lieu retiré : voilà le lieu de la prière sans artifices ni habits, en étant près du Père, qui est la conscience, notre conscience.

Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine.

Be cool !


Ne jugez pas, pour ne pas être jugés de la manière dont vous jugez, vous serez jugés ; de la mesure dont vous mesurez, on vous mesurera. Quoi ! tu regardes la paille dans l’œil de ton frère ; et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? 

Ces versets sont passés dans le domaine public.

Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré ; ne jetez pas vos perles aux pourceaux, de peur qu’ils ne les piétinent, puis se retournent pour vous déchirer.

Ces versets ont été diversement commentés, il semblerait que cette parabole s’adresse aux premiers disciples afin qu’ils ne révèlent pas trop directement les enseignements du Père par le Christ. 

Les tenants de la théorie mimétique pensent que Yeshua connaissait trop les risques de l’emballement des foules et qu’ainsi elles ne pouvaient pas se montrer perméables aux messages évangéliques (Il ne sert à rien de pactiser avec les foules) 

Entrez par la porte étroite. Elle est grande, la porte, il est large, le chemin qui conduit à la perdition ; et ils sont nombreux, ceux qui s’y engagent. Mais elle est étroite, la porte, il est resserré, le chemin qui conduit à la vie ; et ils sont peu nombreux, ceux qui le trouvent.

Et cela ne sera pas facile … C’est ainsi que Spinoza conclut son ouvrage, l’Ethique :

J'ai épuisé tout ce que je m'étais proposé d'expliquer touchant la puissance de l'âme sur ses affects et la liberté de l'homme. Les principes que j'ai établis font voir clairement l'excellence du sage et sa supériorité sur l'ignorant qui est uniquement conduit par ses désirs charnels. Celui-ci, outre qu'il est agité en mille sens divers par les causes extérieures, et ne possède jamais la véritable paix de l'âme, vit dans l'oubli de soi-même, et de Dieu, et de toutes choses ; et pour lui, cesser de pâtir, c'est cesser d'être. Au contraire, l'âme du sage peut à peine être troublée. Possédant par une sorte de nécessité éternelle la conscience de soi-même et de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d'être ; et la véritable paix de l'âme, il la possède pour toujours. La voie que j'ai montrée pour atteindre jusque-là paraîtra pénible sans doute, mais il suffit qu'il ne soit pas impossible de la trouver. Et certes, j'avoue qu'un but si rarement atteint doit être bien difficile à poursuivre ; car autrement, comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s'il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu'il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare.


La propagation des nouvelles voies du salut selon Jésus fut lente. Elle s’appuyait sur les stoïciens - Sénèque, Epictète, Marc-Aurèle (tous encore lus aujourd’hui) qui jetaient un regard réaliste et résigné sur le monde. 

La moitié de la population antique disparut dans le déclin et l’anéantissement de l’Empire Romain sous la violence humaine : Homo homini lupus est.

La chrétienté s’établit difficilement sur les ruines de l’Empire d’Occident, et facilement dans l’Empire d’Orient, grâce à Constantin et la continuité de Byzance.

Il ne fallait pas que la religion du Christ se compromettre avec les possédants et les puissants du monde. Elle allait y perdre son âme et cela advint.


Alain Le Falher



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