LA VIOLENCE

 La violence


Elle ne se définit pas, elle n’est pas un concept. La violence se pratique et se subit. La violence est une partie du mal, perçue comme un bien non accompli. Il faut du mal, ontologiquement pour définir le bien. Il faut donc faire du bien pour combattre le mal.

La violence, comprise ainsi comme partie du mal devient partie de l’être en soi. La distinction des conduites humaines prises comme telles et catégorisées par les sciences sociales a été précédée par la violence considérée comme intégrante des mythes fondateurs des organisations communautaires humaines. La violence et le sacré se sont côtoyés jusqu’à la révolution chrétienne qui a abandonné le sacrifice rituel de la victime coupable et bouc émissaire pour une victime divinisée mais innocente. Jusqu’à ce terme, pensé ainsi comme pivot de la place de la violence dans les communautés (terme préféré au terme civilisation) la violence n’était pas différenciée des autres mythes fondateurs comme la sexualité, les phénomènes naturels et divinatoires. Le sacré était violent et la violence était sacrée. Dans l’histoire du retrait de la violence, les phases remarquablement différenciées qui conduisent à la compréhension du phénomène de civilisation violente  peuvent se définir ainsi :

Reconnaissance de la prégnance du violent dans le meurtre de Abel par Caïn et bannissement de l’auteur du meurtre par le Dieu communautaire plutôt qu’un châtiment mortel (Genèse)

Renoncement au sacrifice du premier né dans les communautés pré monothéistes du Moyen-Orient, il y a environ 8 000 ans (ligature d’Isaac dans la genèse par Abraham). 

Alors que les mythes Védiques et Grecs ne remettent pas en cause la culpabilité des victimes (Œdipe est le meilleur exemple), Job, (Livres sapientiaux de la Bible)  pris dans la tourmente des malheurs est d’abord considéré comme victime coupable à qui la violence s’attache, selon le principe : victime donc coupable. Le récit de Job se termine, pour la première fois dans l’histoire humaine, par le constat qu’une victime n’est pas nécessairement coupable. 

En même temps que la littérature hébraïque s’ouvre à l’universel par les prophètes (Isaïe) plusieurs siècles avant que la philosophie d’Aristote n’intellectualise les concepts du mal, incluant la violence, celle-ci quitte lentement le champ des mythes pour entrer dans celui des catégories. Alors que le droit Romain primitif donnait le droit de mort sur les enfants du « Pater Familias », le droit Juif libérait les esclaves, offrait le décalogue avec son 6ème commandement de ne pas tuer et limitait les sentences de mort du Sanhédrin.

La reconnaissance du violent comme intégrée au sacrifice cède dans le mythe Chrétien. L’histoire humaine quitte le rite sacrificiel incluant la violence. Parti des premiers mythes védiques qui mettent à l’origine des dieux le sacrifice, participant de la violence, la révolution chrétienne rend la victime sacrificielle innocente, impliquant tout renoncement au rite d’une victime expiatoire avec pour rôle de réunir à nouveau la communauté distendue ou éclatée. Jusqu’à lors, le processus se répétait sans cesse : communauté en ordre, désordre,  recherche d’une victime humaine à sacrifier, meurtre rituel dans la violence participative, regroupement transitoire dans le sacrifice et divinisation de la victime coupable chargée des causes du désordre. Ici, le rabbi Joshua, peut-être inspiré par la secte des Esséniens, juif observant, meurt innocent. La place est ouverte au renoncement de la violence mythique. 

Les chrétiens mettent en œuvre une religion non violente devant se constituer sur des dogmes Pauliens très proches des principes Talmudiques : «  Un Sanhédrin qui prononce une condamnation  à mort tous les sept ans est considéré comme sanguinaire. Selon Rabbi Ben Azaria, un Sanhédrin qui prononce une condamnation à mort tous les soixante-dix ans est considéré comme sanguinaire. « Si nous faisions partie du Sanhédrin, nous ne prononcerions jamais de condamnation à mort », disent Rabbi Tarphoum et Rabbi Akiba. « Ils ne feraient qu’accroître le nombre des meurtres en Israël » commentent Rabban Simon Ben Gamaliel. Talmud de Babylone / Ordre Nezihin / Traité Makkoth 7a / 3 (Environ an 100)

La civilisation occidentale s’est constituée depuis des millénaires dans le repli chaotique mais permanent de la violence. D’abord repli des mythes, processus indispensable au passage du retrait de la violence des règles communautaires et des lois, puis repli des référents culturels et cultuels impliquant la violence et enfin condamnation sans violence de la violence.

La violence n’a pas disparue et elle est présente potentiellement dans les actes humains. Les communautés occidentales, éloignées de la pratique de la violence confondent le virtuel et le réel de la violence, tendant en cela à catégoriser les conduites potentiellement violentes dans le registre simplement dénommé violence. Chaque événement historique qui a pu faire céder la règle communautaire de non violence a été le témoin d’un déchaînement de violence  qui, se rapprochant de nos jours, à fini dans une condamnation sociale et pénale, la violence étant sorti du champ du référent. 

Si le mythe a pendant des millénaires mêlé le sacré au violent, si le mythe a permis la sortie de la relation de la violence au sacré, le risque des communautés occidentales est le retour du violent et du sacré, sacré pris maintenant comme référent possible à l’intérieur d’un relativisme destructeur. Le relais du mythe s’est fait par un ensemble de règles communautaires largement comprises comme étant basés sur le respect d’autrui dans l’intérêt de chacun (John Rawls). Si cette règle est acceptée sous l’auspice de la raison, elle convient bien à une société occidentale qui est au cœur du passage du mythe pacificateur aux règles de droit y émanant. Le droit occidental s’est constitué, sans relativisme, par la Scolastique Thomiste qui n’a cessé de renforcer les ponts entre droit et relation aux dogmes chrétiens. La continuité sociale, culturelle et cultuelle a œuvrée des jours de trêves pendant les guerres seigneuriales du moyen âge jusqu’à l’abolition de la peine de mort. L’homogénéité culturelle a permis le retrait continu de la violence. Il convient de distinguer la violence telle que décrite précédemment dans son cours historico -social des conséquences de la violence toujours croissantes par le jeu des amplifications technologiques. La corrélation est étroite entre le nombre des victimes et les moyens de violence mis en œuvre dans les guerres depuis celle de 30 ans, puis la révolution française, les guerres Napoléoniennes, la guerre de sécession, la guerre de 1870 et les deux conflits mondiaux. Comme le nombre de victimes augmentait, paradoxalement la violence diminuait.

Il faut donc bien comprendre la violence dans la sous catégorie du mal, lui-même intégré au bien, comme non accompli. Il revient également à considérer les vertus comme génératrice du bien sous l’effet moteur de la volonté et de la raison. Si la vérité est comprise comme l’adéquation de la chose pensée à l’intellect, alors la violence est, raisonnablement, à écarter. La civilisation, lentement mis en progrès, le doit à cette conjonction du cultuel, du culturel et du « civilisationnel ». Ces trois éléments se distendent et ne se relayent plus maintenant. Un seul élément ne suffit pas. Il est à craindre qu’un relativisme toujours plus prégnant finisse par éloigner suffisamment ces trois élément pour que le cultuel égale le fanatisme, le culturel égale l’identitarisme et le civilisationnel égale le totalitarisme. La violence étant la caractéristique la plus forte de ces trois états.

Le philosophe Emmanuel Levinas cite cette aggadah du Talmud : « Le jour où le nom de celui qui a dit une vérité ne sera plus caché, alors les temps messianiques commenceront » 


Alain Le Falher




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