UNE ROUTE SANS FIN
Un petite nouvelle : un vieux communiste s'interroge !
Une Route qui me semble sans fin
- Quel âge avez-vous ? Je n’ose pas vous tutoyer. Je vais vous appeler par votre prénom, tout de même ! Alors, Robert.
- J’ai 85 ans, je suis né en 1933 : année funeste !
- Vous êtes devenu un compagnon de route, avant d’adhérer ?
- Non ! Dès mes 18 ans, j’ai pris ma carte. C’était en 1951 : la grande époque. Mais je peux dire que j’ai été un compagnon de route dès mon enfance. Dans ma famille, nous en étions tous. Mes premiers souvenirs sont mêlés à ceux de mes parents après 36. Ils étaient trop contents des avancées sociales. Mais en 39, même si je ne comprenais pas tout, ça discutait dur dans la famille après le pacte germano-soviétique. C’est bien après, bien sûr, que je me suis intéressé à cette histoire, à toute l’histoire. Alors, je peux dire que je suis devenu un jeune compagnon de route pendant la guerre. J’ai grandi avec la Résistance. Enfin, avec ce que je pouvais en comprendre. Ma famille était prise entre le devoir du secret et la légitime fierté de combattre. Ma route a vraiment commencé après la Libération. Toutes ces organisations avec le parti : les francas, les patronages laïques, les centres aérés. Je grandissais et je voulais mieux connaitre ce monde. La route est longue pour cet apprentissage. On m’avait appris que les Américains étaient venus libérer l’Europe pour leur commerce et que c’était nos camarades des républiques soviétiques qui avaient vraiment libéré le monde et en conséquence, avaient subi les plus grandes pertes, 10 millions de soldats, 15 millions de civils. Nous n’aurons jamais assez de reconnaissance envers nos camarades.
- Pourquoi dites-vous que la route était longue pour cet apprentissage ?
- Parce que la vie est une longue route, semée d’embuches, de joies, de tristesses et aussi à la fin de la guerre, je savais que cette route avait été très meurtrière. On ne connaissait pas le nombre de morts, mais pourquoi si peu chez les Américains et autant chez nos camarades ?
- Et vous avez donc pris votre carte à 18 ans ?
- Mon père m’avait dit qu’à partir de 18 ans, je pourrai comprendre comment était le monde et qu’à partir de ce moment, je pourrai m’inscrire dans les luttes ouvrières.
- Quel était votre métier alors ?
- J’étais mécanicien général, tourneur fraiseur sur métaux, en somme, dans une usine métallurgique dans la banlieue de Tours, à Saint-Pierre-des-Corps : la banlieue rouge. J’y étais né. Il est impossible de ne pas être du parti lorsque l’on est ouvrier dans une ville comme celle-ci ! Alors de compagnon de route, comme vous dites, je suis devenu membre du parti et j’ai donc continué cette longue route. Ah ! quelle route !
- Vous avez du dépit ?
- Non, je n’ai pas de dépit. Je garde l’espoir de notre victoire finale. Je suis peut-être né trop tôt.
- A 18 ans, nous sommes donc en 1951. Quelles étaient vos luttes ?
- Nous étions encerclés. Les Américains voulaient nous coloniser pour nous faire acheter leurs sodas, leurs bas en nylon et leurs films de propagande. Les guerres de décolonisation se généralisaient. Mes parents avaient monté un comité de soutien à Henri Martin, ce militant qui avait été condamné à 5 ans de prison pour avoir dénoncé la guerre coloniale en Indochine.
Tous les écrivains et artistes étaient en sa faveur : Cocteau, Sartre, Prévert, Eluard, Picasso, Fernand Léger et j’en passe.
En 1953, j’avais 20 ans, à la mort de Staline, mon père a pleuré et j’ai pleuré aussi. Nous avons commencé à aider nos camarades algériens pour leur indépendance.
- Comment avez-vous vécu la déstalinisation ?
- Après la mort de Staline, nous étions déjà abasourdis : alors Khrouchtchev nous est apparu comme le seul rempart contre l’impérialisme américain qui donnait toute sa violence dans la guerre de Corée. Si nos camarades du parti Chinois n’avaient pas résisté, alors les Américains auraient sans doute envahi la Chine, comme ils l’ont fait plus tard au Vietnam et comme ils combattaient les luttes de libération en Amérique centrale. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, McCarthy avait fait fuir Charlie Chaplin et bien d’autres des USA.
- Que pensiez-vous lors des événements de Hongrie en 1956 ?
- Ce soulèvement en Hongrie était manipulé par la CIA, c’est indiscutable. Il est regrettable que des patriotes et des vrais socialistes Hongrois se soient fourvoyés dans cette aventure. Comment pouvez-vous imaginer l’URSS dénoncer le stalinisme d’un côté et de l’autre côté envahir la Hongrie comme les Américains en Corée. Il s’agissait de défendre les avancées du vrai socialisme.
- Quelles étaient vos actions sur le terrain des luttes en France ?
- Eh bien, je suis devenu délégué syndical en même temps que membre très actif des jumelages avec nos partis frères des pays de l’Est. J’ai rencontré des gens merveilleux. Nous étions accueillis à bras ouverts. Nous les accueillions également avec une grande joie, voire une grande tendresse. J’ai failli me marier avec une allemande, mais mon père n’était pas encore très en faveur de la réconciliation, bien que nous étions tous du même parti. Je me suis marié avec une collègue de travail, syndicaliste comme moi. Les temps étaient durs et la route difficile : ceux qui aidaient les Algériens à gagner leur indépendance étaient poursuivis.
- Vous ne parlez pas de votre service militaire ?
- J’avais devancé l’appel et j’ai fait les 18 mois obligatoires, à Pau, mais pas dans les parachutistes. C’était avant l’envoi des soldats conscrits en Algérie. Je ne sais pas ce que j’aurais pu faire face à des Algériens combattants pour leur liberté et leur indépendance ?
- Votre longue route continue et nous sommes maintenant en 1958, avec l’arrivée de Gaulle au pouvoir.
- La route a failli être bloquée avec la prise de pouvoir du Général de Gaulle. Heureusement, les forces de progrès ont su peser sur l’histoire pour contrebalancer les vues hégémoniques des forces de la réaction.
- C’était peut-être un peu plus complexe que cela ?
- Certainement, mais il faut simplifier. Les forces de la réaction sont à l’œuvre, et ce n’est pas en croyant négocier que nous les abattrons.
- 1968, pour beaucoup cela a été plus que des événements ?
- J’avais 35 ans. A cet âge-là, on réfléchit avant de faire des barricades. On croyait gagner les élections législatives et nous avons perdu à cause de la peur de nouvelles barricades.
- 1968, c’est aussi le printemps de Prague et sa fin précipitée ?
- Oui, ça a beaucoup discuté dans le parti ! Lorsque les Américains font deux millions de morts pendant toute la guerre du Vietnam, la libération de Saïgon par nos camarades de l’armée populaire vietnamienne s’est faite sans le bain de sang annoncé par les américains et la soi-disant invasion de la Tchécoslovaquie n’a pas fait cent morts. Je sais, un mort est toujours une tragédie, mais relativisons.
- Une grande étape sur cette longue marche, c’est le programme commun ?
- Oui, une marche loupée. On a fait entrer le loup dans la bergerie. On a essayé. Comment voulez-vous résister contre toutes ces forces hostiles conjuguées ? Comment pouvez-faire comprendre que les grandes multinationales, les banques trop puissantes vont nous laisser tranquillement gérer nos affaires pour le bien commun plutôt que celui de quelques-uns ? Comment ?
- Le programme commun, c’était il y a quarante ans. C’est-à-dire à environ la moitié de votre vie. Quelle a été votre route depuis ce temps ?
- Ma route, ma route ! Une route cahoteuse, pleine de trous et de bosses. J’ai quelques fois pleuré. J’ai vu des amis, et certains de ma famille, s’éloigner de moi, parce que je restais fidèle à mes engagements. Ce n’est même pas de rester fidèle qui compte, ce qui compte c’est de croire que nous devons continuer la lutte pour vaincre ce maudit capitalisme qui exploite le monde pour son seul compte ; c’est de croire que les travailleurs vont enfin comprendre que continuer ainsi, c’est aller à leur perte.
- Vous êtes pessimiste, donc ?
- Non, j’espère que les nouvelles générations vont prendre le relais.
- Cette route est longue, sinueuse, pleine d’embuches, mais toutefois, n’avez-vous pas vu des progrès ?
- Vous parlez : 6 millions de chômeurs, 9 millions de pauvres, une sécu délabrée, des services publics dépecés. A part quelques cadres qui s’en sortent bien, les autres galèrent.
- Que pensez-vous de la Russie et de la Chine ?
- La Russie et la Chine ! … J’ai du mal à y voir clair. Ça devient compliqué. La Chine, c’est Mao et sa longue marche sur une route qui me semble sans fin, sans fin …
Alain Le Falher
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