VERS ET PROSES POUR LE CHAT



Tout ça pour chat




 






Le chat n’est pas fort

Dieu est mort, il n’y a plus de sort, 
Dieu est mort, je suis dehors. 
Dieu est mort, je pleure encore, 
Dieu est mort, et c’est l’heure. 
Dieu est mort, je ne suis pas fort, 
Dieu est mort, Serre moi fort il n’y a plus de sort, 
Dieu est mort, je suis dehors. 
Dieu est mort, je pleure encore, 
Dieu est mort, et c’est l’heure. 
Dieu est mort, je ne suis pas fort, 
Dieu est mort, Serre moi fort










Dehors le chat s’éveille

En me réveillant, je ne reconnus pas tout de suite la chambre. Je cherchai du côté de la cuisine de chez moi et je ne vis qu'un mur blanc éclairé par le jour transparent. Il n'y avait aucune lumière allumée, mais toute la pièce était baignée par les reflets de mur en mur du dehors. L'horloge qui comptait comme à Saint-Pierre ne me parlait pas pareil. Le plafond, sombre la veille, s'était éclairci pendant la nuit, ses poutres blondes étaient comme des barrettes dans ses cheveux de planches. Le parquet luisait, et sans odeur, il me rappelait celui de ma chambre à Saint-Pierre. Je savais que mes parents étaient proches, peut-être dans la cuisine ou dans le jardin. Je savais que le soleil brillait, je savais que la mer était là, je savais que le ciel était bleu. Je ne voulais pas encore me lever pour sortir voir. Je ne voulais pas qu'on vienne pour me dire. Je voulais garder les volets clos pour ne sentir du jour que son espoir de lumière. Sur un petit meuble, il y avait une couronne de mariée sous une cloche en verre comme chez ma grand-mère la bretonne. Ici, je pouvais en regarder les détails, sans craindre qu'elle vienne et me demande pourquoi je restais à regarder ce qu'elle venait juste de me montrer, en ne répondant à mes questions que pour elle-même. La chaise où je pensais avoir posé mes habits était vide. Le dossier se reflétait à moitié des échos des lumières matinales. L'horloge étrangère cachait ses chiffres dans l'ombre du coin du mur. Tous les objets avaient été disposés comme si le maître d'école avait voulu qu'on les dessine et les peigne; alors doucement, leurs lignes, leurs courbes, leurs lumières, leurs ombres se redessinaient dans ma tête et il me semblait qu'en fermant les yeux je les gardais ouverts. Chez moi, le dimanche, lorsque je me réveillais, ma mère ou mon père étaient là et m'entendaient. Je savais que s'ils pouvaient alors faire plus de bruit, ils préféraient que le lit soit replié et je savais que je devais me lever pour manger, manger pour que ma mère puisse me préparer pour la messe, pour qu'elle puisse faire sa grande toilette du dimanche dans la bassine posée sur le lino comme pour moi et aussi qu'elle puisse partir faire les courses au marché sur la place de l'école. Ici, le lit ne se replierait pas et la messe était hier. Alors, comme le maître pour la leçon de chant avec son métronome, avec mes doigts contre le bois du lit, je battais la mesure du temps qui passe. Je vis le bouton de la porte se tourner doucement. Je pensai rapidement que je pourrai fermer les yeux pour faire croire à mon sommeil et que, laissé seul, je reviendrai à ma leçon de dessin sans crayon ni peinture, mais je voulais aussi goûter le dehors. Ma mère glissa juste sa tête et me sourit comme à la maison en me disant qu'il était très tard, qu'il faisait beau. Alors je me levai.















Le chat s’égoutte

Sous la pluie le soleil luit, 
sous la pluie sans bruit. 
Sous la pluie avec envie 
pour une vie sans ennui.
















Dehors le chat de guerre


Un des premiers Grands Dimanches, mon père avait emmené mon grand-père chez un de ses amis de guerre qu'il n'avait pas vu depuis bien longtemps. Mon père avait décidé de m'emmener et ma mère et ma grand-mère n'étaient pas venues et je ne savais pas pourquoi. En arrivant, je compris qu'il était veuf et triste de ne plus vivre avec sa femme. Mon grand-père lui avait écrit que maintenant, avec la voiture, on pouvait aller le voir, lui qui habitait trop loin de la gare. En chemin, dans la voiture, mon grand-père, qui ne parlait pas beaucoup, avait raconté un peu comment ils se connaissaient avec son ami de guerre et puis, dès que mon père dit que nous étions presque arrivés, je sentis que mon grand-père retournait dans ses souvenirs, comme mon père maintenant et il ne parla plus. Sitôt la voiture arrêtée devant la maison dans le petit village, l'ami de guerre de mon grand-père ouvrit la porte du perron. Je vis tout de suite qu'ils s'aimaient. Je m'approchai de mon grand-père sans rien dire, suffisamment pour qu'il se tourne vers moi et qu'il sente que je les comprenais. J'eus l'impression que l'ami de guerre de mon grand-père avait un peu pleuré en descendant les quelques marches du perron. Ils s'étaient déjà embrassés du regard et lorsque leurs mains se touchèrent, c'était pour se retenir. Mon grand-père monta lentement les marches, son ami devant. Dans la maison pleine de silences, de souvenirs et d'ombres, les deux amis essayèrent de parler des choses et c'étaient leurs âmes qui murmuraient.















Le chat aime les roses

Bouquet de roses 
Près de la fenêtre close, 
Celle qui a dit j’ose 
À fait la plus belle chose. 
Bouquet de roses 
Bien sûr écloses, 
Magicien d’Oz 
Pour garder la pause. 
Bouquet de roses 
Pour la seule cause, 
Celle que la vie impose 
D’aimer les roses.










Dehors le chat Parisien

Je me rappelais bien la maison de la tante Lucienne qui était juste à côté de celle de sa sœur. On disait maison, mais c'était bien sûr comme ma maison, c'est-à-dire un logement dans une grande maison. C'était le seul grand voyage en train dont je me rappelais. Nous étions tous partis de bonne heure le matin, mais je n'arrivais pas à me rappeler de ce matin-là comme de mes derniers matins. A Paris, la ville m'était apparue comme ma ville, avec une gare presque pareille, mais plus grande. Mes parents et ma grand-mère m'avaient laissé avec mon grand-père prendre le taxi, car il ne le payait presque pas à cause de ses blessures de guerre. J'avais attendu près de lui, dans la longue file d'attente, à regarder la grande ville. Il me regardait de temps en temps et j'étais heureux. Le taxi était arrivé et dans la voiture il y avait la musique de la radio. La voiture démarra et j'avais écouté la musique, regardé la grande rivière, les immenses rues et déjà les beaux bâtiments. J'étais sûr que mon grand-père était heureux, mais il était heureux de quelque chose de plus que je ne savais pas. Je me rappelais avoir suivi la rivière, longé la cathédrale, puis être passé auprès de la tour Eiffel qui ne me surprit qu'une fois près d'elle. La maison de la tante Lucienne était dans un beau quartier, comme il y en avait un plus petit dans ma ville. Une fois descendu du taxi, j'avais compté les étages, il y en avait sept. La porte de la maison était, aussi, comme celle d'un château et il me sembla que le sol du grand hall d'entrée était en marbre. Je n'osai à peine poser mes pieds par terre. Mon grand-père m'apparut plus grand et encore plus heureux. Il appuya sur un bouton doré près d'une porte en fer comme celle d'un magasin fermé et l'ascenseur descendit. Dans l'étroite cage, je me blottis contre lui, tout en regardant les paliers apparaître, les portes disparaître, le trou de lumière du hall d'entrée doucement s'éteindre et me laissai surprendre par la secousse de la fin de ma première montée. Sur ce dernier palier, il se dirigea vers une petite porte qui ne ressemblait à aucune des autres portes, et il s'engagea dans un escalier sombre qui montait autour des câbles de l'ascenseur. En haut, nous arrivâmes sur une plateforme où la machine qui nous avait soulevés nous accueillit dans une odeur de graisse, comme celle des roues des charrettes à Saint-Martin, et un bruit de grosse machine à coudre avec les mêmes roues plus grandes. Je m'arrêtai pour regarder la machine, comme pour regarder les chevreaux qui venaient de naître à Saint-Martin. Mon grand-père m'attendait avec son sourire encore plus bleu, et je ne pus savoir si son sourire était pour moi, pour mon étonnement devant la machine, ou pour quelque souvenir à venir. Je le devançai sans réfléchir, et passant son bras au-dessus de moi, il poussa l'unique porte qui fermait le haut de l'escalier. Encore un autre palier, aussi sombre que celui de notre maison, nous avala et il frappa à la porte de gauche. La tante Lucienne nous apparut. Maintenant, je n'arrivais pas à me rappeler si c'était la première fois que la voyais. Nous entrâmes et ce que je vis tout de suite, c'était que de la fenêtre, nous pouvions voir la tour Eiffel au-dessus des toits, comme si elle était à côté. Je compris que le monsieur à moustaches blanches était l'oncle Émile et je ne compris pas pourquoi mon grand-père ne s'était pas assis et n'avait pas ôté son pardessus qu'il portait presque jusqu'à l'été. J'avais attendu près de lui et la tante m'avait parlé comme si elle me connaissait bien. Puis elle dit que tous étaient là et je crus un instant qu'elle parlait de mes parents et de ma grand-mère, mais je pensais que par le métro qu'on m'avait expliqué, ils ne pouvaient être déjà là. Alors, sans réfléchir, je suivis mon grand-père et la tante Lucienne qui ressortirent sur le palier sombre et allèrent frapper à l'autre porte. Dans l'ombre, se dessina le rectangle s'agrandissant de la porte s'ouvrant sur une dame que je ne connaissais pas. Nous entrâmes. Mon grand-père l'embrassa et je crus reconnaître la venue de son souvenir.











Le chat se teint

Le printemps doucement revient, 
il est là, il part de rien, 
pour ouvrir mes liens qui me liaient à demain. 

Le printemps doucement revient, 
pour adoucir mes chagrins, 
pour donner de l’entrain 
à mes pauvres dessins. 

Le printemps doucement revient, 
il s’endort en chemin, 
il s’amuse comme un gamin, 
il me réchauffe enfin. 

Le printemps doucement revient,
il chavire et vient, 
il me console de trop de pleins, 
et des cris des chiens. 

Le printemps doucement revient, 
avec ses odeurs de jasmins, 
ses douceurs de matins 
que je veux sans fins.










Dehors le chat sous le soleil

Je restai seul dans la cour écrasée de soleil. Je me penchai sur le sol blanc de poussière et de chaux. Les traits d'anciennes saignées, cicatrices de pluies, dessinaient sur le sol, comme les traces de mes fissures. Mais je n'avais pas de craintes, ni de peurs. Le soleil m'enveloppait. Je pourrai bientôt m'abandonner. Je savais que tous pourraient rester sans rien se dire pendant un moment dans la cuisine se remplissant de l'écho de la lumière du jour. Alors je pourrai suivre le vol imbécile et vrombissant de la mouche, dont le noir se dessinait sur le blanc du mur et de la cour. La chaleur était telle que je n'eus bientôt plus d'autre courage que d'écouter le seul bruit de son vol. Elle ne pouvait savoir où aller et se reposer. Perdue, je la retrouvais à son bruit bien particulier. Il fallait pourtant que l'idée de bonheur m'envahisse totalement pour que mon seul jeu fût de suivre la mouche. Sans cela, je me serais inquiété de quelque querelle à venir entre ma grand-mère et sa sœur. La chaleur, trop forte malgré sa coquille de bonheur, me chassa vers l'ombre de l'étable et l'invitation à jouer dans la grange.
















Le chat est seul

Ta main se desserre 
mon cœur se resserre, 
je ne suis plus rien et j’erre, 
plus de ciel, et que la terre. 

Ta main se desserre, 
plus rien ne sert, 
dehors le tonnerre 
dedans plus rien de clair. 

Ta main se desserre, 
ma vie à l’envers, 
mon corps dans l’éther, 
mes yeux devenus de verre. 

Ta main se desserre, 
les arbres étaient verts, 
mon âme est amer, 
maintenant c’est l’hiver.

















Dehors le chat voyage

Je savais donc, que nous quitterions la maison par la gauche, et que nous ne passerions ni devant l'épicerie ni par le Pont du Milieu. J'aimais de toutes façons ce chemin, car nous irions, sans doute, par le haut de la digue du canal, puis par les chemins étroits qui traversaient les jardins comme ceux de mes grands-parents, puis par la route près de la scierie qui sentait bon le bois, puis le long de ma petite école, l'école maternelle d'où l'on voyait la maison où habitaient mes cousines et mes cousins et enfin par le croisement où il faudrait choisir entre le chemin le plus court, qui passait par la cité de baraques en planches jaunes et où n'habitaient plus que des mauvaises gens ou le chemin le plus long où, entre les vignes, les arbres et les autres maisons, je distinguerai bientôt celle de mes grands-parents. Nous prîmes le chemin le plus long. Il était en pierre avec toujours de gros trous épars. Sans le savoir, dès le dernier croisement, là où était le vrai chemin de la maison, je hâtai le pas, et après m'être retourné une dernière fois vers mes parents, je courus. Le petit portail de bois s'ouvrait dans un grincement de bienvenue, et je courrais dans l'étroit couloir à courants d'air entre la maison et celle des voisins à qui on devait dire bonjour mais ne plus parler. La petite porte de derrière s'ouvrait sous ma poussée et déjà l'odeur des confitures à venir m'entourait avant que les bras de mon grand-père ne se referment sur moi pour me protéger de tous les dangers du monde. Je ne disais rien et lui non plus. Sans le regarder, son regard au-dessus de moi me recouvrait. J'étais dans ses bras. Je me glissais comme le chat se dérobe pour mieux revenir chercher ses caresses, et j'allais embrasser ma grand-mère qui riait de mon jeu en me serrant contre elle sans le souvenir d'une première fois, puisqu'il me semblait que cela avait toujours existé. Elle me tapotait l'épaule, puis doucement son étreinte se relâchait et mes parents entraient. Venant à pied, le beau temps devait forcément nous accompagner sur la route de chez nous à mes grands-parents et comme cela, il faisait beau pour que je puisse jouer dans le jardin et la cour. Je regardai mes parents et mes grands-parents s'embrasser, et je ressortis. Les paletots et les blouses accrochés au portemanteau de la porte de la cuisine se rouvrant, se balancèrent doucement à mon passage. Le couloir me ramena à la petite porte de derrière où mon grand-père devait se pencher pour passer. Ici, je ne cherchais pas de tuyaux, ni de fissures. Je ne cherchais rien et je ne chercherai rien. Il me suffisait de marcher de la petite porte au cabanon, du poulailler à la buanderie, du cellier au gros tilleul et de parcourir les allées du jardin. Il ne se passerait rien et je voulais que rien ne se passe. C'était comme je le pensais et je ne pensais rien. C'était comme avant, mais je ne savais pas quand. Et je pensais que ce serait toujours comme maintenant, mais je ne savais pas jusqu'à quand. Le temps passait sans mesure, ni trop vite, ni trop lent. Je frôlais les choses. J'entrais dans mes souvenirs. Là, ma cousine riait, là, mon cousin pleurait. Là-bas, Linette m'apprenait et son frère Jean-Claude m'entraînait. Ils étaient là hier, un autre dimanche d'avant les grands Dimanches, et ils seront là demain, pour un autre jour de vacances, ou un jeudi de différence, et je me les rappelais autant que je m'étais rappelé la maison sur le chemin. Les poules grattaient en parlant pour ne rien dire et les lapins mâchonnaient pour ne rien manger. Les jeux d'avant étaient ceux de maintenant. Il y aurait la collation de quatre heures, mais le morceau de chocolat au lait, que ma grand-mère me donnerait à croquer, ne me serait pas servi une deuxième fois, avec son rire qui voulait me dire que la deuxième fois valait mieux que la première. Mon tilleul ne pouvait pas me tendre de branches assez basses, alors il fallait prendre la vieille chaise de la buanderie, pour atteindre la première branche, et commencer à y grimper, pour pouvoir dominer le jardin et les toits du cellier et de la buanderie. Je m'asseyais à l'ombre de la haie qui séparait le jardin de la cour, et je suçais quelques feuilles de fenouil qui me laissait le goût du pastis des grands, qui m'était encore interdit. Je ne savais toujours pas si nous resterions le soir pour dîner. Je n'avais pas de curiosité. Rien ne pouvait me rendre curieux. Je parcourais les allées du jardin, et je passais entre les planches de légumes que je m'amusais à reconnaître en les nommant à haute voix. Je me penchais au-dessus du puits pour m'y voir. Je cueillais, je ramassais, je longeais, je sentais, je touchais, je mesurais, j'estimais, je vivais.











Le chat pleure

Ma vie se traîne 
comme la rengaine 
d’une vieille Reine. 
Je sens les précipices 
pleins d’immondices 
des mensonges et des vices.
Il n’y pas de bonheur 
mais trop de malheurs 
à vouloir que des gagneurs. 
Fin des enchantements 
dans le froid et le vent. 
Même Dieu me ment.











Dehors le chat boit

L'odeur du café fort me fit tourner la tête vers le petit réchaud à gaz qui était posé sur un meuble peint en marron clair. Chez mes grands-parents, le café ne sentait pas la même odeur. La tante versa dans nos bols le café fumant qui continua de tourner avec la mousse fine qui se formait sur les bords légèrement ébréchés. Je baissai mon visage vers le bol. La chaleur du café me fit cligner les yeux et pincer la bouche, alors je ne pus respirer que plus profondément par le nez, pour aspirer goulûment les vapeurs chaudes et acidulées du breuvage de bienvenue. Je fis glisser le morceau de sucre blanc qui fit alors quelques bulles supplémentaires en se tordant pour ne pas fondre. Je fis attention en amenant la tartine de pain au-dessus du bol de café qu'un morceau de beurre ou une miette n'y tombe pas. Je ne voulais pas voir les ronds gâcher ma belle surface noire maintenant devenue toute lisse, si lisse qu'en retenant mon souffle, je pouvais m'y voir comme dans un miroir au fond noir. Après m'y être vu de cette façon et seulement après, je plongeai ma tartine dans le café en espérant que l'on n'y mettrait pas tout de suite le lait, puisqu'il fallait que les enfants boivent le café avec du lait. Je pensai que je n'étais presque jamais avec mon père pour le petit déjeuner. Nous avions tellement la bouche occupée à mâcher le pain et à rattraper le café que nous ne pouvions parler.











Le chat roi

Il veut le pouvoir, 
pouvoir le pouvoir, 
et pouvoir le vouloir. 
Les jeux pour voir, 
et les yeux pour choir. 

Il veut le pouvoir 
pour la simple gloire, 
lieu des abattoirs 
sang des abreuvoirs, 
odeurs des encensoirs. 

Il veut le pouvoir 
folies de foires, 
pensées en entonnoir, 
joies teintées de noir, 
entourées de désespoir. 

Il veut le pouvoir 
corridor des couards, 
cour des fuyards, 
frayeur des ignares 
pour des papes sans tiare.











Dehors le chat se promène

Il fallait aller aussi, certains dimanches, sur la tombe du mari de la tante, dont toute la famille disait qu'il avait été méchant avec elle. A la vue du portail en fer rouillé du cimetière, nos parents faisaient taire nos rires que j'avais déjà laissé en voyant le dos courbé et noir de la tante qui avançait sous le soleil vers sa dernière maison, comme elle l'appelait. Nous marchions tous ensemble maintenant, moi devant avec un morceau de bois, arme secrète pour me rendre invincible. Au lieu de prendre par la forêt vers l'ancienne maison de la tante, elle décida de monter sur le coteau pour voir ses champs et ses cerisiers. En montant par le sentier, elle se demandait si les fruits seraient bien formés et si les oiseaux, en juillet, n'en mangeraient pas trop. Pour la cueillette des cerises, je n'aimais pas m'en mettre sur les oreilles comme les autres le faisaient. Les grands les prenaient, les regardaient en savants, et en goûtaient pour se garantir du jugement qu'ils venaient d'en faire. Pour celles pas assez mûres, comme pour les autres fruits, ils me disaient qu'elles me rendraient malade, plus pour se convaincre de leur supériorité que pour vraiment me protéger, puisqu'ils en mangeaient. Après qu'ils eurent palpé les petites boules vertes sur les branches basses et donné tous leurs avis, nous redescendîmes par la route qui menait au village. Je m'attendais donc à croiser quelques personnes connues par la famille. Nous en croisâmes plusieurs, que seulement nous saluâmes, puis pour se reposer de la chaleur, nous nous arrêtâmes à l'ombre. J'étais à côté de mon père qui me dit soudainement qu'il aimait bien regarder les gens. Je compris bien qu'il aimait regarder les gens et j'aimais bien le regarder regarder les gens. Pour ma mère, en fait, quand elle regardait les gens, ce qu'elle aimait, c'était regarder les gens qui la regardaient. Puis nous repartîmes et nous nous arrêtâmes donc à la rencontre de quelques connaissances inconnues pour moi. Le monsieur paraissait sévère et mon grand-père le salua comme l'avaient fait mon père, ma mère et comme plein d'autres gens qui mangeaient ensemble, lorsque le directeur de leur usine était venu au dessert de leur repas d'anciens apprentis. Mon grand-père s'était presque incliné et ma grand-mère et sa sœur étaient restées en arrière. Le monsieur me demanda ce que je ferai plus tard lorsque je serai grand et je me retournai vers ma mère qui dit au monsieur, autant qu'à moi, qu'il fallait que je travaille bien à l'école et qu'après je pourrai devenir quelqu'un de très bien. Ma mère se tut un instant et le monsieur m'encouragea à travailler bien à l'école. Le ciel s'était affadi sans renoncer à sa chaleur. Il était devenu comme de la soupe remuée. J'avais trop chaud. De la rue étroite que nous longions je ne pouvais voir l'horizon. Tous parlèrent de l'orage et dans le calme du Grand Dimanche finissant, je cherchai à imaginer le bruit du tonnerre. Un coup éclata, lointain, puis d'autres se rapprochèrent, et ceux de mes souvenirs aussi. Alors qu'un été d'avant sans doute, il avait commencé à pleuvoir et que les premiers coups de tonnerre s'étaient fait entendre alors que j'étais près de la petite porte qui donnait sur le jardin de mes grands-parents, là où les odeurs d'encaustique en provenance du placard tout proche se mêlaient déjà aux premières odeurs de la terre mouillée des premières gouttes, je m'étais confusément souvenu de premiers souvenirs d'orage. Alors je ne discernai plus le tonnerre de mes souvenirs de celui du dehors. Ici, je me rapprochai de ma grand-mère pour m'entendre encore une fois dire, par mon grand-père, que le Bon Dieu grondait de colère contre sa femme. Il ne plut pas, et le tonnerre cessa. Ma mère préparait déjà son au revoir à la tante. Mon père faisait sauter dans sa main la clé de la voiture, et mon grand-père me souriait. Ma mère décida de laisser le portail ouvert et de ne pas rentrer dans la maison. La tante m'embrassa et je la laissai seule avec son sourire. Le soleil était sorti de sa soupe remuée. Sur le mur, je remarquai les taches bleues de sulfate que je savais poison. Il entourait la treille, et le mur de tuffeau blanc ne m'apparut plus taché, mais comme entouré d'un ciel bleu, pareil à mes endroits de mer de Bretagne. Ma grand-mère continuait de parler avec sa sœur. Cela durerait. Sous le verger, les fleurs de fin de printemps m'attendaient. J'aurais voulu aller cueillir ces fleurs pour ma mère, mais je me souvenais que chez mon oncle, le petit frère de ma mère, j'étais allé cueillir des fleurs des prés dans les champs et fossés avoisinants, puis j'étais revenu, fier et heureux de pouvoir les donner à ma mère. La tante Henriette, qui était parmi nous, toute de noir vêtue, avait souri à plein dentier trop blanc de mes fleurs juste bonnes pour les lapins. Ma mère me les avait prises en faisant la leçon à ma grand-tante, en lui disant qu'il fallait toujours accepter ce genre de cadeau des enfants. J'avais donc considéré ma tante, mes fleurs et ma mère, en me demandant si ce n'était pas les fleurs qui disaient la vérité.









Le chat se démène

Ils travaillent, 
ils s’entaillent, 
la vie sans faille 
et la voix en gouaille. 

Ils travaillent, 
vie de paille, 
pour une médaille, 
qui sera en ferraille. 

Ils travaillent, 
sans pagaille, 
rien ne déraille. 
Il faut que j’y aille.











Dehors le chat antituberculeux

Je ne comprenais pas tout de la guerre, mais je pouvais me souvenir que parlant de ceux qui étaient morts, leurs visages devenaient graves et leurs regards devenaient comme celui de mon père pendant le repas. Je me rassurai encore en pensant au nouveau médicament qu'il y avait maintenant pour Monsieur Ferrand, et que les Allemands étaient partis, même si mon grand-père disait toujours que les boches reviendraient. Je ne savais même pas comment étaient les nuages qui venaient vers moi. S'ils avaient été beaux, je les aurais sans doute remarqués et j'aurais suivi leurs passages, mais mon regard se perdait maintenant comme celui de mon père. En voulant chasser une dernière fois l'image de Monsieur Ferrand, je repensai alors à la piqûre qu'on m'avait décrite si grosse, qu'un frisson me parcourut. En même temps, je me rappelai les traits de vaccination que m'avait faits le monsieur en blouse blanche sur mon bras après qu'il m'eut passé l'éther froide et enivrante avec le petit morceau de coton qui, pendant qu'il venait finir sa course dans le plateau émaillé en forme de haricot, m'avait fait oublier la recherche, que je venais de faire, parmi tous les visages laissés derrière moi dans la grande baraque en planches, de ma grand-mère. Le souvenir des pleurs, des autres enfants, de la chaleur, de la grande dame dans sa longue blouse blanche et bleue qui m'avait aidé à ramener ma manche sur la vaccination, me firent oublier la peine qu'aurait pu avoir ma grand-mère la Bretonne. Avant de commencer à monter les quelques marches du grand escalier de l'école, je décidai de bien m'appliquer à vendre à l'avenir, tous les timbres antituberculeux, en me rassurant à l'idée que les gens qui me les prendraient le feraient surtout pour ne pas me faire de la peine. Puis je recherchai le mot du médicament qui guérissait les poitrinaires, mais je ne le trouvai pas.














Tous les jours, des chats mentent

La terre des mensonges 
se gonfle comme une éponge 
pleine des crasses qui rongent. 

La terre des mensonges 
sans cesse s’allonge 
pour que nos espoirs y plongent. 

La terre des mensonges 
est vide des songes 
de ceux qui la longe.











Dehors le chat perche

La route maintenant passait au travers du bocage avec des montées et des descentes entrecoupées de petits virages. Mon père ne disait rien et lorsque je le regardai il ne me semblait ni heureux ni triste. Peut-être pensait-il à la route de ce soir. La route monta un peu plus et nous arrivâmes dans un village avec une église avec encore les mêmes pierres. Certains arbres étaient plus grands, comme des pins, mais plus beaux, plus seuls et plus sombres. La route redescendit un peu et puis soudain après le dernier virage, elle s'offrit à moi. C'était elle, ce n'était pas le ciel. D'abord un bout, un morceau de déchirement entre les arbres et les maisons, une tenture d'azur au-delà de la percée des bois de pins, un rideau de vert qui s'ouvrait sur elle dans son écrin de ciel et d'îles : la Mer. Les grands pins maritimes m'accompagnèrent jusqu'à la dernière maison du port. La bise légère et la chaleur du jour me portèrent jusqu'au bout de la jetée. Je pris la main de mon père qui ne disait rien et qui regardait à l'infini le bleu profond et transparent de cette eau que je n'avais jamais vue qu'au travers du gris des photos du grand album. J'oubliai le tableau du buffet. Ici, ce n'était que beau. Mon père ne me l'avait jamais dit. Je savais pourtant qu'il le savait. Il avait dû acheter le tableau du buffet comme moi je garde une feuille d'automne pour me souvenir des couleurs de l'arbre dans les premiers matins froids. Je n'aimais plus le tableau. Je ne regardai plus la mer et le prolongement des côtes bordées des arbres et des rochers qui s'ouvraient sur elle sans fin. Je ne sentais plus le soleil qui chauffait mes épaules. J'étais dans elle, au-delà d'elle. Je n'étais plus heureux comme à Noël, c'était comme un bonheur ou ensemble et en même temps, l'attente, le réel et l'espoir se conjuguaient. J'avais peur que mon père maintenant veuille repartir et j'aurais voulu décider moi-même de me retourner pour ne pas craindre de subir ce moment. Autour de moi, rien ne changeait, pourtant mon œil était attiré maintenant par les choses, comme à l’école, où mon rêve par-dessus les vitres blanchies terminé, lentement, mon regard retombait sur l'ordre des rangs de tables et le gris des écoliers. Je voulais revenir à avant, tout de suite à avant où une fois passé l'église, mon espoir presque déjà lassé avait rebondi entre les arbres et les maisons pour venir exploser et retomber en perles de joies sur la mer enfin retrouvée. Je savais que maintenant, toutes les photos de mon père ne m'apporteraient rien sinon que le rappel du souvenir de maintenant et que lorsque je reverrai le tableau au dessus du buffet, je serai heureux du souvenir et malheureux de mon bonheur perdu avec la certitude de ne jamais pouvoir en parler avec mon père. Je savais que le moment de partir s'approchait. Je regardai mes pieds et autour, les pierres d'église de la jetée. Mon père déjà regardait plus près de lui. J'espérai qu'il ne parlerait pas. Ce devait être comme la mort de quelqu'un chez les voisins, on ne pouvait pas en parler avec eux. Peut-être pensait-il comme moi et peut-être était-il malheureux de n'avoir que le tableau du buffet. Peut-être que lorsqu'il était silencieux dans la voiture, il y pensait. Je le regardais. Il me parut beau. Je repensai à mes pieds que je venais de regarder sous moi. Il tourna la tête vers l'entrée de la jetée et après un soupir et un "bon, on va rentrer !" nous repartîmes vers la voiture. Il m'aura donc sauvé des mots comme je voulais être sans cesse sauvé des leçons du maître qui voulait expliquer les arbres, les nuages, le ciel et la mer et qui jamais ne m'expliqua l'école.




















 Le chat chasse

Le soleil me baigne 
et l’aube m’enseigne. 
Que nul ne geigne ! 
Que la vie se peigne 
qu’il n’y ait plus de peine ! 
Et que rien ne s’éteigne !
















Dehors le chat croit

Pendant la leçon du maître, je repensai au catéchisme. J'étais étonné qu'il ne parle jamais du catéchisme. Il ne parlait jamais aussi des fêtes, de Pâques par exemple où Jésus était mort. C'est vrai aussi qu'il disait qu'il était impossible à quelqu'un de ressusciter. Je n'avais pas bien compris le mot ressusciter au catéchisme et je croyais que le maître nous aurait expliqué quelque chose. Pour la Pentecôte, avec les langues de feu qui étaient tombées sur la tête des apôtres, je me doutais un peu qu'il ne nous en parlerait pas. Je savais aussi que mon grand-père et mes oncles disaient beaucoup de mal des curés. Ma mère m'avait dit qu'elle croyait en Dieu ou au moins quelque chose comme Dieu. Je n'avais pas osé demander à mon père s'il croyait en Dieu. Il y avait une prière qui disait : je crois en Dieu, le père tout puissant, créateur du ciel et de la terre...après, je ne me rappelais pas. Je pensais plus au Dieu du ciel qu'au Dieu de la terre, parce qu'au ciel, avec les étoiles on pouvait le dessiner, alors que sur la terre, Monsieur le Curé n'était pas beau. Pourtant, à l'école maternelle, on n'avait pas eu de maître mais des Sœurs. Parmi toutes les Sœurs, il y en avait une qui s'appelait comme ma cousine Annick et elle était très douce et gentille. La première fois, la Sœur nous avait conduits à la chapelle qui était entre l'école et la jolie maison pleine de vigne vierge où elle habitait avec les autres Sœurs. Dans la petite chapelle qui n'avait pas de clocher, il y avait au fond ce qu'on nous avait dit être le tabernacle. Près du grand coffre accroché au mur, il y avait une petite lumière rouge, comme une ampoule électrique. La sœur nous avait dit que la lumière indiquait que Jésus était présent dans le tabernacle. J'eus peur qu'il y eut une panne d'électricité, comme il y en avait souvent chez mon grand-père.


















Le chat grimace

Le temps se glace, 
l’effroi m’enlace
et je n’ai plus de place. 
Le peu devient crasse
et le jeu salace.
Le tout me lasse.
















Dehors le chat aime le lapin

Ma mère, devant les clapiers, sans les compter, demanda combien il restait de lapins et mon grand-père, du cabanon, répondit simplement qu'il faudrait attendre encore un peu pour que nous en ayons. Je quittai le cabanon pour aller vers les clapiers où les quelques lapins qui ne me regardaient que d'un œil rouge, n'avaient déjà plus de vie, même vivants, puisqu'un jour ou l'autre nous les mangerions, et qu'en plus ils seraient bons. Il me semblait qu'ils seraient toujours meilleurs que les poules. Je continuais à les regarder un à un. Je pensai qu'avant même que nous irions le prendre, celui-là ou un autre, il nous regarderait de la même façon après avoir été choisi. La porte sitôt ouverte, je savais qu'il irait se blottir au fond de son médiocre clapier et qu'il se mettrait à trembler dès que ma grand-mère l'aurait pris par les oreilles. Des fois, elle le remettait et décidait d'en prendre un autre qui réagissait de même. Une fois le lapin fatigué de ses soubresauts, elle lui donnerait un coup de manche de pioche cassé qui me semblait chaque fois terrible. Il bougerait encore quelques instants et sans vouloir le dire, je lui demanderai s'il était bien mort. Elle ne répondrait pas en l'attachant par les pattes avec une ficelle échevelée à la même grande pointe rouillée fichée dans le montant de la porte ouverte du cabanon. Je savais alors que son doigt déjà crochu de rhumatisme irait tenir le couteau à la fine lame pour extraire l’œil qui me semblait toujours pareil et n'avoir jamais changé depuis sa sortie de la cage. Sur le bol blanc qui était toujours placé au bon endroit, j'attendrais la première goutte de sang qui viendrait s'éclater dans un petit bruit sec, avant d'être suivie par le chapelet gourmand des sauces à venir. Puis tout en s'égouttant de sa vie par l'endroit où il l'avait peut-être goûtée, une fois la peau coupée autour de ses pattes joliment festonnées de la ficelle meurtrière, la peau de lapin se tirerait sous la hargne de ma grand-mère à en finir. Le dernier bruit de peau séparée précéderait la fumée du ventre chaud au contact de l'air encore frais de cette fin de printemps. Déjà la chatte arriverait, déjà le bol serait plein, déjà la paille à remplacer les entrailles serait prête et déjà je pensais au plat fumant, qui me régalerait tellement, qu'il ne me serait pas nécessaire de demander à ma grand-mère de le réchauffer, tant il serait bon même froid.




















Le chat est mort

Lorsque ce qui était disparaît, 
lorsque la vie déjà s’enfuit, 
lorsque le regard est sur le départ, 
Alors le beau du ciel se transforme en fiel. 
Lorsque ta fourrure n’est plus qu’un murmure, 
lorsque tes pas annoncent le trépas, 
lorsque ta tête n’est plus à la fête 
Alors les hauts des nuages nous envoient le présage. 

Lorsque nous t’adorons dans ta maison, 
lorsque nous nous appliquons sans raison, 
lorsque nous te guérissons avec passion, 
Alors du fond de la terre cesse le tonnerre. 
Lorsque lentement tu t’es couchée, 
lorsque paisiblement tu t‘es en allée, 
lorsque subitement on s’est retournés, 
Alors nous avons pleurés.










Dehors le chat visite

Alors, pour m'échapper enfin, j'allai vers la buanderie où l'eau, qui semblait suinter tout le temps du gros bac en ciment, emportait l'odeur du savon se mélangeant à celui des draps restés à tremper. Il n'y avait pas de bruit, peut-être parce que la lumière, ne rentrant que par la porte faiblement entrebâillée, l'empêchait. Je sentais l'eau. Je fis encore glisser ma main sur le rebord rugueux du bac et la fis descendre, comme l'eau savonneuse le faisait, vers la rainure puis le petit trou d'écoulement, où j'avais eu l'habitude de mettre le doigt pour faire déborder l'eau d'essorage vers le bac plein d'eau propre. La grande lessiveuse était suspendue au plafond bas de la buanderie. Plus petit, ma grand-mère la remplissait d'eau et la mettait au soleil. Je lui demandais sans cesse si l'eau était assez chaude pour m'y baigner et elle riait de mon impatience. Puis la permission était enfin donnée, alors que le soleil, qui déclinait, coloriait en jaune le ciment de la cour. L'eau qui débordait de la grande bassine, par mes ébats, me peinait et je ne bougeais plus pendant quelques instants, pour ne plus craindre de voir partir l'eau de mon bonheur. Dans le cellier, il y avait une réserve de charbon avec le broc et la pelle noire. L'ampoule poussiéreuse suffisait à peine à éclairer l'endroit. Je ne pouvais jamais reconnaître les conserves sur les étagères lorsque j'accompagnais ma grand-mère dans ce cellier trop sombre, pour y lire les étiquettes sur les bocaux, mais suffisamment pour goûter de mon assurance à avancer ma main au travers des toiles d'araignées. Je fis cogner doucement plusieurs fois la pelle contre le seau à charbon, et j'imaginai les boulets qui glissaient en s'entrechoquant vers la bouche en feu de la cuisinière. Il me fallait remonter vers la surface et la lumière.











 Le chat lit

Le Journal en revue...demain sur la pile avachie 
et désabusée des nouvelles défraîchies. 
Après demain s’échappant d’une poubelle meurtrie. 
Ensuite, poussant le vent devant lui... 

Le Journal sans titre hier... 
s’étirait sur toute sa plage et m’emmenait Républicain et Libre, 
libéré dans le Monde et sa Libération, sans Echos... en Progrès... 

Le Journal maintenant s’épuise dans la salle télévisée, 
se déchire dans ses pages stylisées, 
s’engage, page du Roi Télé, 
surnage, bouchon de papier. 

Le Journal en meilleur tirage dans la cheminée pour encore être vu, 
à l’article de sa mort et en bouton de manchette le jour de sa revue. 
Il emmagasine mes rêves de quotidien, et chaque matin,
il m’accompagne et liste mon destin. 
Viens, je t’attends Journal, je te prends, 
tu m’apprends, je te tends, il est temps, 
ne me quitte pas Journal, car vient le gros temps. 

Alors, Journal, je t’ouvre, je te découvre, 
je me découvre devant tes pages... 
Et alors Journal, tu t’ouvres, 
tu m’ouvres, tu me redonne du courage. 

Et c’est pourquoi, Journal, que j’enrage, que je m’engage, 
que je deviens sage, que je tourne la page. 
Journal, tes thèmes, tes rengaines, tes fredaines, 
tu parles trop la bouche pleine. 

Journal, tes peines, tes joies saines, 
tes pensées cartésiennes, tes cartomanciennes: je t’aime. 
Mais je ne dois pas gloser trop longtemps sur ton sujet, Journal à emballer. 
A quoi bon réciter les pensées sans cesse rabâchées 
et rivaliser entre les chiens écrasés et tes articles d’actualité. 
Tu m’accompagnes, Journal, voilà tout, sur le chemin du quotidien. 
Il faut que tu restes avec nous, pour nous protéger du mal à venir 
et des maux sans repentir.
















Dehors le chat à chat

Le goût du savon encore sur les lèvres et comme m'ayant transpercé les joues et la gorge, je m'habillai avec application avant de recevoir les retouches propres à mon état d'écolier, qui avait pour morale d'école d'être propre, d'avoir les ongles courts et brossés ainsi que les cheveux coupés courts et bien peignés. Lorsque ma mère vint devant moi pour ces retouches, faites de tiraillements de manches et de repoussements d'épaules, j'en avais oublié ses silences chargés de craintes pour moi, comme sans doute pour elle. Elle ne me regardait pas moins que les autres fois, mais j'étais sûr qu'aujourd'hui, elle ne me voyait pas. Elle m'embrassa donc, mais c'était moi qui aurais voulu l'embrasser. En descendant du noir, vers la lumière du virage de l'escalier, je rêvais encore à un matin bleu d'été, sans me souvenir du gris au-delà du rideau. Sous le porche sans couleur, la blouse de mon camarade Bernard se confondait déjà avec le gris du ciment du sol, celui du haut du ciel et ceux du crépi des murs. Je le suivais donc, sans même contester l'endroit pour traverser la rue, sans lui parler du gris et sans répondre à ce qui n'était même pas des questions, mais des habitudes. La cour de récréation m'apparut plus calme et plus silencieuse. Sans doute ces blouses grises s'étaient-elles collées et agglutinées dans le gris qui descendait du ciel comme des morceaux de chiffons s'entassaient au fond du sac du chiffonnier. Le maître nous attendait à l'entrée de la classe. Les plus hardis poussaient les plus endormis, et je n'étais ni parmi les premiers, ni parmi les derniers. Je regardai le maître qui semblait nous compter comme il devait compter son jour. Je remarquai alors sa montée sur l'estrade, l'ouverture qu'il faisait de son cartable et la façon dont il posait son livre sur son bureau, puis la manière dont il l'ouvrait. Rien n'avait pu changer des jours d'avant, ni pour lui, ni pour moi. Il commença donc sa nouvelle leçon sans façon nouvelle. Nous ouvrîmes tous notre plumier, prîmes tous notre porte-plume et les plongeâmes dans nos encriers aux odeurs de silence et de devoirs, au niveau d'encre incertain et au fond trop vite atteint. Mais au lieu de m'appliquer à écrire la date de ce jour gris, je regardai, dans mon rang, les têtes penchées sur leur cahier de misère, qui tentaient d'y bien marquer les signes particuliers du mot de ce jour sans singularité. Ensuite, nous devions compter les six premiers carreaux à partir de la marge, pour pouvoir commencer à tracer le trait de six nouveaux carreaux, qui me laissait toujours insatisfait de ne jamais pouvoir en compter exactement autant entre sa fin et le milieu du cahier encombré de sa petite ficelle blanche. Puis, en attendant que le maître écrive la morale du jour au tableau, mon regard glissa entre les grandes lignes du cahier pour venir s'emprisonner entre ses petites lignes violettes qui toujours, à un moment ou à un autre, me ramenaient vers mon premier jour de la Grande École et de madame Proust, qui, après nous avoir dit son nom, nous avait demandé de bien vouloir écrire le nôtre sur le cahier qu'elle venait de nous donner. A la petite école, je n'avais jamais eu de cahier qu'avec des lignes bleues regroupées entre elles pour séparer les lignes d'écritures. Je m'étais trouvé alors en face d'un groupe de lignes violettes avec une ligne rouge presqu'en son milieu. J'avais regardé sur le cahier de mon voisin qui n'avait rien écrit. Alors, la gorge saisie des premières angoisses de mal faire, j'avais commencé à écrire mon nom en tout petit, pour pouvoir loger ses lettres entre seulement deux petites lignes violettes, tout en pensant que cela ne devait être ainsi qu'on écrivait à la Grande Ecole. Madame Proust, en venant derrière moi, m'aurait fait ne pas pouvoir parler, tant ma gorge était serrée, mais elle s'était penchée vers moi et son sourire m'avait fait venir des larmes de soulagement. Le maître me rappela à l'ordre et je n'eus pas le temps de compter le nombre de carreaux entre la fin de mon trait et le milieu du cahier. Je lus la morale écrite au tableau, et je rattrapai mon retard en pressant mon écriture et en oubliant déjà le texte de la morale, qui me laissait aussi indifférent que les autres jours.









Le chat de la ville.

Je suis le passant anonyme et tranquille 
qui sous les coups du vent vacille, 
comme un bateau bientôt sans quille 
parce que raclant le fond de la ville. 

Je suis le passant anonyme et tranquille 
qui pour paroles seulement babille 
comme un enfant qui veut qu’on l’habille 
dans le désert des lumières de la ville. 

Je suis le passant anonyme et tranquille 
qui s’en va cueillir la fleur des jonquilles 
comme un amant qui n’a pas connu de filles 
pour pouvoir trouver la plus belle de la ville. 

Je suis le passant anonyme et tranquille 
qui croit que derrière les nuages tout brille 
comme le perdant des jeux faciles 
qui sont offerts aux habitants de la ville 

Je suis le passant anonyme et tranquille 
qui sait maintenant que sa vie s’étrille 
comme vont les habits en guenilles 
et les maux de la vie qui se perdent dans la ville.














Dehors le chat à vélo

Mon père avait dit, avant d'acheter la voiture, qu'elle ne devrait pas coucher dehors, mais à l'abri dans un garage. Je trouvais drôle qu'on dise cela d'une voiture, coucher. Comme je me trouvais bien à l'abri à l'intérieur de la voiture, je pensais que c'était pour qu'elle se trouve bien aussi, qu'on la mettait à coucher à l'abri. Mon père laissait son vélo chez mon grand-père, revenait en voiture nous chercher et le Dimanche soir des Grands Dimanches, il nous ramenait à la maison, ramenait la voiture et revenait tout seul à vélo. J'avais demandé qu'il me ramène sur son vélo, mais il ne voulait plus car il avait démonté la petite selle qui était fixé sur le cadre. Je me rappelais, plus petit, roulant ensemble, moi entre lui, du seul bruit de la dynamo qui me rassurait de la nuit qui venait, et par les rues sombres, de la fragile lumière du vélo qui éclairait les murs des maisons au hasard des trous que mon père évitait.









Le chat aime le Dieu du monde

Le Dieu du monde 
est comme une blonde, 
belle et bien ronde, 
mais pas féconde. 

Le Dieu du monde 
gros mastodonte 
est plein de faconde 
avec rien qui ne fonde. 

Le Dieu du monde 
n’a plus de bonde 
et s’enfle des ondes 
des prochaines bombes.













Dehors le chat monte

Mon grand-père monta près de mon père, et je fus bientôt coincé entre ma mère et ma grand-mère. Je quittai Saint-Pierre par les rues que je reconnaissais et nous fûmes bientôt sur la levée de la Loire. Du milieu de la banquette arrière, il m'était difficile de voir l'extérieur. Mon père expliquait à mon grand-père la mécanique de la voiture et mon grand-père hochait de temps en temps la tête, tandis que ma grand-mère parlait de sa sœur de Saint-Martin et que ma mère la reprenait en lui reprochant d'exagérer toujours un peu. Je ne voyais plus que des taches se succéder par la surface restante des vitres déjà petites de la voiture. Sur le bord de la route, dans les prairies encore vertes, les dernières fleurs de printemps tachaient de jaune et de blanc ma vue fugitive, et je croyais voir mon pinceau de couleur effleurer la nouvelle feuille de dessin. Nous quittâmes la route de la levée de la Loire et je savais que Saint-Martin maintenant approchait. Au loin, j'aperçus la ligne de chemin de fer qui se cachait derrière les bosquets pour réapparaître au gré d'une clairière. Je regrettais le train et nos voyages. Nous attendions toujours mon oncle qui arrivait presque en retard en poussant mes cousins et cousines. Je revoyais ma tante qui, essoufflée, s'asseyait d'un trait en répétant qu'ils finiraient bien par manquer le train. Puis nous jouions entre les remontrances de ma grand-mère et les sourires de mon grand-père. Nous connaissions le nom de chacune des gares, et sitôt passée la dernière avant Saint-Martin, nous devions avoir remis en ordre nos chevelures et nos vêtements. Nous descendions du bon côté de la gare et nous partions heureux, accompagnés des plaisanteries des grands et des recommandations de tous à bien suivre le trottoir sitôt arrivés sur la grand-route. Là où la rue se rétrécissait et où les rares voitures nous frôlaient, il fallait rester près de nos parents qui nous surveillaient avant qu'ils nous lâchent dès le carrefour de la route de la tante Henriette atteint. Nous courions alors vers la place de la mairie en nous rappelant les autres fois où nous restions à regarder et à écouter la fanfare pour nous, et l'harmonie municipale pour les autres qui répétait ici le dimanche midi. La route était longue pour nous, et trop montante pour tous. Une fois arrivés à la hauteur de la grande ferme qui nous ouvrait la vue sur le jardin de la tante, nous commencions à rire plus fort pendant que les grands changeaient leurs plaisanteries contre le regret de ne pas avoir une tante qui habite plus près de la gare, et emportés par leurs paroles et leurs fatigues, qu'elle n'ait pas un meilleur vin. Sitôt la dernière maison de la route passée, je courais vers le grand portail de bois gris. Nous le poussions avec peine et j'entrais dans la cour de l'étable, comme un seigneur devait entrer dans son château. Puis débouchant sur l'autre cour encore sous le soleil, je regardai la maison avec un sentiment d'ailleurs, comme si cette maison m'était inconnue. Le chien trop maigre me refaisait pitié et je ne pensai plus qu'à lui pendant l'hiver, et ce que la tante croyait être des aboiements étaient pour moi des gémissements et des pleurs. Puis je revenais vers la cour de l'étable et entre les planches disjointes du grand portail de la tante, nous regardions les gens passer en nous moquant un peu d'eux. Je n'osais rire trop fort, non pas de craindre qu'ils m'entendent mais de craindre, pour moi, d'avoir été ainsi. Maintenant, à la place des rires de mes cousines et de mes cousins qui se glissaient par le portail en annonçant les réprimandes et les derniers avertissements de nos parents, j'aidais mon grand-père à ouvrir en grand le portail, pour que notre voiture puisse venir se garer le long de l'étable, où le tombereau dont les brancards étaient tournés vers elle, restait le seul défenseur de la ferme contre la machine de fer. La tante déjà avançait vers nous, son sourire avec elle.
















Le chat et sa faim de vie


Que restera-t-il de tout ceci? 
Il y aura encore un peu de vie, 
il n’y aura pas trop d’ennui 
avant que ne vienne la nuit. 

Que restera-t-il de tout ceci? 
Du temps qui déjà s’enfuit, 
des lumières qui ont lui, 
et qui s’éteignent de trop de bruit. 

Que restera-t-il de tout ceci? 
Un vague souvenir de nos soucis, 
des promesses en raccourci, 
des goûts d’abri sous la pluie. 

Que restera-t-il de tout ceci? 
Des enfants qui se plient 
aux honneurs arrondis 
à rendre, sans être avilis. 

Que restera-t-il de tout ceci? 
Des pleurs endormis, 
des craintes ensevelies, 
des joies appauvries. 

Que restera-t-il de tout ceci? 
Le souvenir qui sourit 
de revenir enhardi 
au seuil de notre belle vie.











Dehors le chat à froid

Je repensai à l'hiver où il avait fait si froid et si beau en même temps et à l'eau qui avait gelé dans tous les tuyaux de la maison. Nous avions dû aller chercher l'eau à cette borne juste au coin de la rue. Elle avait été complètement recouverte de paille et seul ressortait, sur le haut, le gros bouton qu'on devait enfoncer et sur le devant, le bec avec la petite crête pour que l'anse du seau ne glisse pas. J'y étais allé avec ma mère et dans le froid bleu et jaune de l'hiver, nous prenions un peu de chaleur des rires des autres mères et des autres enfants qui attendaient leur tour. J'avais été triste quand le froid avait laissé la place à la pluie grise et que nous avions simplement ouvert le robinet au-dessus de l'évier.












Le chat loupé

Plus rien ne vient,
qui s’en souvient, 
même que le vin 
ne fait plus de bien. 

Puis vient le rien, 
comme un païen, 
mieux qu’un chien 
pris pour un vaurien. 

Il est le doyen
de tous les chrétiens,
il a le béguin, 
c’est le chef indien


















Dehors le chat musicien


De la fenêtre de la salle à manger, la lumière m'apparut plus vive. Nous approchions de l'été et mon père disait souvent qu'alors les jours raccourciraient. Il expliquait toujours que dès que l'été commençait, les jours diminuaient, mais je n'avais pas vraiment compris pourquoi et je ne me souvenais plus de l'explication du maître. Il alluma le poste de radio et mit la musique doucement en disant que le samedi après-midi, là où il était seul, il la mettait plus fort. La musique s'arrêta et il chercha une autre émission avec de la grande musique ou de l'accordéon. Il parlait depuis quelques temps d'acheter un nouveau poste de radio, qui pourrait prendre de nouvelles émissions dont le son serait meilleur et où la grande musique serait belle à écouter. Il avait dit aussi que le poste pourrait avoir un tourne disque sur le dessus ou le côté. Ma mère avait dit que cela coûterait cher et je n'en avais plus entendu parler. En recherchant encore la bonne émission, le poste fit un vilain bruit entre chaque musique trop forte. Ma mère ne dit rien et simplement rappela qu'il ne fallait pas que j'aille au lit trop tard, puis une musique d'accordéon remplaça le bruit. Je restai un moment à le regarder penché sur le poste de radio. Il devait peut-être penser au nouveau poste dont il n'avait plus reparlé. Je ne pouvais l'imaginer mais je pensais qu'il devait être grand et que le petit meuble sous le poste de radio devrait être mis ailleurs ou monté au grenier, parmi les vieilles valises et les vieux journaux. Je savais que dans le meuble, il y avait le petit panier en bois que j'avais offert pour la fête des mères. Il était laid, mal fait et peint avec de la peinture mal passée. Je me souvenais avoir gravé sur la peinture encore fraîche, un malhabile "bonne fête Maman" avec le bout du manche du pinceau, dans la salle de classe encombrée des petits morceaux de bois et des odeurs de peinture à l'eau. En lui offrant, elle m'avait embrassé après m'avoir dit qu'elle m'aimait et que le panier était très beau. Du bout de la table de la salle à manger, je la voyais penchée sur les assiettes qu'elle lavait, avant qu'elle ne les remplace sans doute par du linge. Il me semblait que mon père se couchait un peu plus tard le Dimanche soir. Le journal était de son côté sur la table. La même musique d'accordéon continuait de jouer à travers le poste, pendant qu'il me semblait que je ne pourrais jamais en entendre d'aussi belle que celle écoutée dans le taxi qui m'avait emmené de la grande gare de Paris. Comme mon père ne voulait pas que je reste à ne rien faire, je savais qu'il finirait par me demander si je n'avais donc vraiment rien à faire. Pourtant, encore, je n'avais plus envie de pousser mes petites voitures seulement pour être tranquille. Je croiserai sans doute son regard et, sans jouet, il me surveillerait. Je pensai aux livres d'école de mon cartable, aux cahiers, au journal de Mickey, mais rien ne me plaisait. J'aurais pu ouvrir la porte du placard au compteur à gaz où dans la boîte à chaussures, qui contenait mes petites voitures sans surprise, j'aurais pu les recompter et me faire croire que tout en dessous, une nouvelle s'y serait trouvée comme celle que je n'avais pas attendue au dernier Noël. Je le faisais des fois, en sachant bien sûr, qu'il n'y en aurait pas de nouvelle. Je les ôtais toutes de la boîte, en gardant celle de Noël de côté afin que je la remette la dernière. Je n'osai, de toutes façons, ouvrir le placard, tant le bruit de la clef en tournant dans la serrure puis de la porte en s'ouvrant m'aurait semblé un bruit de tonnerre dans le faux calme de la musique d'accordéon et des cliquetis de vaisselle amortis par la mousse où les mains de ma mère disparaissaient. Sans motif, sans jouet avec moi, je décidai de quitter mon bout de table, de passer devant là où se trouvait mon père et d'aller voir si vraiment les mains de ma mère avaient disparu. Je sentis la tête de mon père se relever à mon passage, et une fois sous la lumière plus vive de la lampe de la cuisine, ma mère se retourna vers moi. Elle devait laver sa vaisselle comme moi je faisais mes devoirs et elle ne me parla pas tout de suite. Elle reprit sa vaisselle un moment, puis à nouveau se retourna vers moi et chercha, sans doute dans sa tête comme moi lorsque je dois répondre au maître, et enfin me demanda si je n'avais pas envie de dormir. Je lui dis non, alors que tant de fois, pour juste être plus tranquille, je lui avais dit oui. Elle ne répondit rien et replongea ses mains et son regard dans la mousse blanche. Je revins vers la salle-à-manger d'un pas, avec le regret de n'avoir pas l'obligation d'aller au lit. Sans raison, mon père se leva, éteignit le poste de radio avec sa musique maintenant grésillante d'accordéon et partit vers la chambre en disant qu'il allait se coucher, comme s'il pouvait y faire, seul, quelque chose d'autre. Je pouvais ainsi rester seul à ne rien faire, en attendant que ma mère vienne défaire mon fauteuil-lit. Il me restait à goûter de ma courte tranquillité à regarder les mêmes choses autour de moi, à laisser aller mon esprit du gros poste éteint au lustre gris au-dessus de moi, du parquet sombre au poêle à gaz muet pendant l'été, jusqu'à ce que, sans surprise ni attente, ma mère ouvre mon lit et moi mes couvertures. J'espérai seulement qu'elle n'aille pas au lit tout de suite pour que je sente encore la lumière de la cuisine restée allumée et que le matin, je ne sache plus quel soir je m'étais endormi avant qu'elle vienne m'embrasser.

















Le chat noir et blanc

La couleur découle 
et nous coule 
sous les heurts 
de ses fausses splendeurs. 

La couleur 
nous leurre 
sous la poussière de ses petites grandeurs. 

La couleur nous tient dans ses pleurs 
et ses moiteurs. 

La couleur, 
je veux la limiter aux noirceurs 
et blancheurs.










Dehors le chat chaud

Le matin revint sans importance et c'est seulement sur le chemin de l'école que je cherchai, comme un premier exercice à faire, le nom du jour. Après l'avoir trouvé, je le laissai en me laissant aller à l'espoir d'un jour de chaleur. Pourtant, il ne faisait pas encore chaud et les brumes veillaient encore le soleil qui n'osait se dévoiler. Le bruit de la ville, si faible pourtant, m'apparut différent. Je ne savais pas si ce bruit avait bien changé ou bien si cette lumière l'avait transformé. Derrière le ciel, je pouvais voir un autre ciel. Il me semblait que des traînées de nuages se mélangeaient avec mon premier ciel ; comme près de la casserole d'eau à bouillir, la vapeur allait se perdre vers le filament presque éblouissant de la lampe. Auprès des murs des maisons, je croyais en sentir le frais de la nuit et au carrefour, je crus que la rue à traverser me réchaufferait. J'entrais dans l'école en continuant à chercher mes signes d'été comme le chat de la maison de mon grand-père cherchait je ne sais quelle proie le long des murs. Le maître nous parlait et sans l'écouter, j'entendais le soleil se débarrasser de ses derniers voiles pour mieux embrasser la tête de mes platanes sur la place. A la récréation, sitôt passé le couloir pour pénétrer avec les cris dans la cour, la chaleur me saisit comme une écharpe chaude laissée autour du cou. Je quittai les sauts et les débuts de jeux pour me laisser baigner dans les doux courants d'air de l'été annoncé. Je n'osai regarder le soleil et je marchai, puis courus presque, pour mieux goûter. Je n'eus qu'à suivre, maintenant en courant, les autres enfants. Ils crurent à un jeu, je me savais heureux. De ma place, dans la classe émue des nouvelles lumières, je pus imaginer ma clairière de platanes, dans la forêt de maisons, se retourner vers le soleil. Je me rappelai la couleur orange que prenait notre classe le soir après que nous ayons tiré les lourds rideaux de toile. J'attendais de repartir vers ma maison pour seulement me rebaigner dans la lumière encore plus chaude qu'à la récréation. Pour sortir, il fallait, bien sûr, ne pas courir dans le couloir et je hâtais le pas en même temps que je refusais qu'on me dépasse. Je laissai les autres enfants s'attarder à embrasser leurs mères qui venaient les attendre et, devançant mon camarade Bernard, je marchai, accompagné par le soleil comme mon ombre. 











Le chat blanc, noir

Il n’y a rien à dire, 
peu à écrire 
sur les délires, 
parmi les rires 
sans un soupir. 

Sinon que le noir 
n’est pas le désespoir, 
qu’il laisse à croire 
qu’au-delà du soir 
tout reste à voir. 

Il y a encore à dire, 
et ne plus écrire 
dans un délire 
sans jamais rire 
comme un soupir. 

Sinon que le blanc 
est comme le temps, 
qu’il est le passant 
qui le plus souvent 
ne reste jamais comme avant.













Dehors le chat oiseau

Je marchais à côté de mon camarade Bernard et je lui répondais, sans doute machinalement, mais bien je suppose. Je ne pensai pas qu'il fût content de mes réponses, je pensai seulement que je ne craignais plus qu'il se rende compte de mon habituel détachement. Il aperçut un oiseau mort sur le bord du caniveau, et comme j'allai lui tenir conversation, je me retins en tendant la main vers le cadavre emplumé. J'avais déjà ramassé un petit oiseau en revenant à pied de chez mon grand-père, et j'avais dû pleurer pour que mon père et ma mère acceptent que je le garde. En arrivant à la maison, ce jour-là d'avant, ma mère avait préparé une vieille boîte à chaussures dans laquelle elle avait placé un journal que j'avais arrangé comme j'arrangeais mes couvertures sur moi, lorsque je m'endormais chaque soir. Sur les conseils de ma mère, j'avais préparé son repas en trempant des morceaux de pain dans de l'eau. Il avait été convenu que je le relâche dès qu'il aurait eu assez de force. Mon père n'avait rien dit, mais je croyais qu'il aurait aimé que l'oiseau vive. Le lendemain matin, l'oiseau s'était affaibli et je crus jusqu'à mon retour de l'école que les oiseaux pouvaient survivre dans leur nid de papier et de carton. Mon père avait juste dit que le journal sentait mauvais et je n'avais pas voulu voir mon oiseau partir dans son linceul imprimé et taché de ses derniers espoirs. Maintenant, j'étais content que l'oiseau mort reste sur le trottoir.























Le chat le gris en nuances

Quelle est donc cette langueur 
qui te prend, 
Quel est donc ce malheur 
qui t’attend, 

Quel est donc ce bonheur 
qui se suspend, 
Quelle est donc cette noirceur 
qui s’étend.
















Le chat va

Le monde va ,
le monde vient,
le monde est las,
le monde est rien .

Le monde va ,
le monde vient,
le monde est gras, 
le monde me tient.

Le monde va ,
le monde vient,
le monde en bas,
le monde sans lien.

Le monde va ,
le monde vient,
le monde en appât,
le monde en vaurien.

Le monde va ,
le monde vient,
je suis là-bas.
Je ne suis rien.






















Recherche : CHAT

J’ai cherché
Tant d’années,
Tant de jours,
Depuis toujours.
Jamais fatigué,
Jamais lassé.
J’ai cru tomber,
Sans me retenir.
J’ai cru vaciller,
Sans frémir.
J’ai toujours refusé.

A quatre ans, peut-être, il m’a été présenté.
Je l’ai senti et j’ai préféré douter.
Mais je savais ce doute, une attente.

Tant de fois, il est revenu,
Tant de fois, il est réapparu,
Sous toutes ses vertus, jamais déchu.
Mais, je le laissais filer, laissais aller,
Avec ces vieilles femmes esseulées,
Ces jeunes filles endiablées,
Ces hommes aux allures de curés.

Pourtant, il me frôlait,
Me rattrapait,
Me touchait,
Se cachait,
Se taisait.

Et moi, m’enlisait, 
Me contredisait,
Me salissait,
M’abêtissait,
M’abaissait.

Il est venu 
Dans ce retrait
Qui m’était
Apparu 
Impossible à déplier,
A replier,
Auquel se plier,
Et supplier.

Sa main s’est tendue,
Je l’ai vue.

Son esprit, je l’ai suscité,
Ressuscité !


Les proses sont extraites du livre "Les Grands Dimanches


Alain Le Falher




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