LA RETRAITE DE FRANCE

 



"Ceux qui ne sauront pas faire des règles de trois iront arracher les pommes de terre ... à la main, dans pas longtemps !" 
Anonyme



En France, nous avons le culte de la grande révolution, celle de 1789, près de 150 ans après celle des Anglais qui avaient coupé la tête de leur roi, abrogé la royauté comme trop totalitaire et donc installé une république qui s’est vite transformée en dictature, rapidement renversée pour rappeler le fils du roi décapité et surtout initier un principe de constitution, la plus libérale du monde à l’époque, ouvrant la voie aux pères fondateurs des Etats-Unis d’Amérique. 
Alors, les Anglais avaient beau jeu de se moquer de notre grande révolution. La troisième république a fait avec la révolution de 1789 ce que les chrétiens ont fait avec les évangiles : une sorte de récit romancé, sans nuance, où l’avant était noir de péchés et l’après blanc de pureté.  
Cette représentation de la grande révolution de 1789 a été magnifiée par les élites républicaines, avec un point culminant pour le 200 -ème anniversaire, en 1989, avec un François Mitterrand au sommet de sa gloire, recevant les dirigeants de la planète qui ne furent pas tous satisfait de cette grandiloquence, comme la Première ministre britannique, Margaret Thatcher, qui rappela que les droits de l'homme n'étaient pas une invention française, pas plus que la démocratie parlementaire. 
Il n’empêche que pour une grande part des Français, majoritaire peut-être, les mouvements sociaux valent autant ou plus que les décisions de la représentation parlementaire. Cette part des Français, considère que la France vit sous un régime autoritaire qu’il faut abattre, encouragés en cela par des personnalités politiques qui s’aventurent hors des chemins tracés par les régimes typiques des pays de culture occidentale.  
Pour ces français, la mise en œuvre de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution française constitue un déni de démocratie, alors qu’il s’agit d’un mode opératoire qui a été adopté par l’ensemble des partis politiques et appliqués par tous les partis jusqu’à lors.  
Le niveau de connaissance des institutions française et faible, voire très faible, parmi la majorité des Français, ainsi que la culture économique qui se résume pour beaucoup à l’exploitation des salariés par des patrons sans vergogne.  
La noblesse du travail, comme un aboutissement d’une vie remplie, comme une sorte de spiritualité à conquérir se dilue dans un nouvel état, largement répandu, de la condamnation du travail, à l’instar d’une punition imputable à celui qui crée l’emploi, qu’il soit privé ou public.  
Le paysan de l’ancien régime ne condamnait pas le travail. Le travail était constitutif de sa vie au sens premier du terme : pas de travail, pas de vie. 
Au gré de la révolution industrielle qui a vu la création de richesses multiplier par un facteur de plusieurs centaines, la relation entre travail et vie, ou moyens de vie, s’est dissipée au point que la grande majorité a perdu cette relation au profit du constat amère d’une vie sans but, soumis à un système manipulé par un élite profiteuse qui ne les comprend pas.  
Pour une minorité, incluse dans la modernité, possédant une profession riche de créations et d’autonomie, le constat est à l’évidence différent : gratification, évolution, enrichissement, partage des connaissances.  
Il pourrait être fait un rapprochement entre la noblesse d’ancien régime et cette caste des urbains nantis, mais ce serait une erreur, car les catégories socioprofessionnelles supérieures (CSP+) sont inclues totalement dans le processus de création de richesses, mesurées généralement par le produit intérieur brut (PIB) par pays, et donc souvent ramené par habitant, qui montre plus clairement le lent glissement de la France dans le classement de ce fameux PIB par pays et par habitant. Il convient de rappeler que cette mesure est critiquée par son caractère trop monétaire et qu’elle ne traite pas suffisamment des volumes, comme le montre l’exemple de l’augmentation des prix de l’immobilier qui contribuent à l’augmentation du PIB sans augmenter la richesse nationale distribuable. En termes de volume, celui-ci est resté constant depuis la dernière crise de 2008, voire en régression pour les tonnages de marchandises transportées, les surfaces de logements livrés, les quantités de métal transformés. 
La retraite, après des décennies de labeur, ce qui fut le cas pour une majorité de travailleurs le siècle dernier, était attendue, puisque possible.  Cette retraite avait été rendu réalisable, comme les autres services prodigués aux hommes dans les pays occidentaux tels que les soins gratuits, l’éducation gratuite, les congés payés, par la prodigieuse augmentation des richesses produites par l’inventivité humaine et l’accès aux combustibles fossiles, le charbon d’abord, le pétrole ensuite et enfin le gaz. L’inventivité sans les combustibles n’aurait profité qu’à l’esprit, les combustibles sans l’inventivité n’aurait profité à personne, comme ce fut le cas jusqu’à la révolution industrielle qui n’est que la résultante du binôme combustibles + inventivité. 
La démocratie, ou plutôt l’élargissement du vote des personnes les plus riches à l’ensemble des hommes, puis des femmes et enfin aux plus jeunes s’est fait grâce aux princes de la politique qui ont promis un avenir meilleur à la condition de leur accorder les suffrages demandés, mus en cela par le constat d’un progrès constant qu’il aurait suffi de partager différemment.  La politique est par nature populiste, à la manière des bonimenteurs de foires qui surenchérissent sur les qualités supposées de leurs colifichets offerts à l’envie des chalands. Les penseurs du XIXème siècle, comme Karl Marx, ont pensé le monde comme le résultat des structures qu’il suffisait de changer pour changer les hommes et ainsi s’engager vers un monde meilleur d’où aurait disparu les inégalités en profitant des progrès scientifiques et techniques et des ressources terrestres, jugées sans limite. 
Les guerres du XXème siècle ont été à l’image des progrès généraux de ce siècle par le couple inventivité et énergie. L’homme n’a pas été plus terrible, plus mauvais, plus épouvantable, il a juste profité de plus de moyens pour mettre en œuvre ses desseins funestes. La dictature des nazis s’est mise en place suite à une vote démocratique, incluant les femmes, parmi des personnes instruites et christianisées. Il est souvent mis en avant le faible niveau intellectuel des dirigeants nazis, mais les deux premiers collaborateurs du dictateur était l’un ingénieur agronome et l’autre docteur en philologie. (Himmler, Goebbels). Le progrès n’a donc pas de frontière et profite autant au bien qu’au mal, comme une masse servait à construire un édifice ou à défoncer la boite crânienne de son ennemi.  
Nous allons être confrontés, tous confrontés, à bien plus grave que travailler deux ans de plus que pensé il y a quelques années bien que le livre blanc des retraites, préfacé par le premier ministre de l’époque, Michel Rocard, en 1991, mettait un fort accent sur le caractère inévitable des résultats d’une règle de trois : plus de retraités coutent plus cher : 9 millions en 1991, 17 millions en 2023. La règle de trois n’était manifestement pas connu par les dirigeants de la présidence de François Mitterrand dès 1981, car se succédèrent trois dévaluations en 18 mois et un retournement complet de la politique du gouvernement par “le tournant de la rigueur”. Qui s’en souvient ? 
Tous les empires succombent. Il y a deux cents ans, rien ne pouvait prévoir l’extraordinaire croissance de la production des richesses, d’un facteur de plusieurs centaines.  
Thomas Malthus, à l’origine du terme malthusien au relent négatif et passéiste, au début du 19ème siècle, avait bien saisi les risques des résultats des règles de trois sur l’accroissement de la population et la création de richesse. Comme souvent, ses ouvrages économiques ont été caricaturés, ce qui n’a pas empêché John Maynard Keynes, pour analyser la crise de 1929, d’écrire un essai intitulé Robert Malthus, le premier des économistes de l'École de Cambridge. A la même époque, dans « Réflexions sur la liberté et l'oppression sociale », Simone Weil, en 1934 annonçait la façon dont la production mondiale occasionnera, en quelques décennies ou quelques siècles, une sape inévitable de ses propres ressources matérielles et elle se prononçait en faveur d’une forme de « décroissantisme » avant l'heure, qui enjoignait son lecteur à requestionner la notion de progrès afin d'examiner dans quelle mesure l'essor de l'innovation technique et de la production profite ou nuit au bien-être humain. Donc, rien de nouveau sous le soleil, (de Satan ?). 
Alors, à quoi allons-nous être confronté ? Le futur n’est pas prévisible, et l’histoire se conte au gré des opinions de chacun. Toutefois, l’élément le plus important à l’origine de la croissance des richesses, adossé à l’inventivité de l’humain, comme déjà dit, c’est l’accès aux combustibles fossiles, sans lesquels rien de serait advenu de la révolution industrielle et de son corolaire, le passage de 1 à 8 milliards d’habitants. Ces ressources vont connaitre un pic dans les années proches alors que la demande va s’intensifier en provenance essentiellement de l’Asie où plus de la moitié de la population mondiale réside, et avec le plus fort taux de croissance économique. La continuation de cette croissance ne peut provenir, pour l’essentiel, que des énergies d’origine fossile. Presque toute la population des pays les plus riches, donc les plus développés, donc les mieux informés ont pris en compte la relation directe entre production, donc richesses, et consommation des combustibles fossiles qui sont à l’origine du réchauffement climatique. Les scientifiques, et maintenant quelques politiques, s’accordent sur une large probabilité d’un réchauffement supérieur à 3 degrés à la fin de ce siècle. Nombre d’articles, certes noyés dans le fatras des nouvelles quotidiennes, montrent les effets très dévastateurs de cette augmentation de 3 degrés. Il n’est pas utile de rappeler les catastrophes prévues qui seront d’une ampleur sans commune mesure avec celles des temps historiques. En France le ministre de la transition écologique ne cherche même plus à œuvrer pour ne pas dépasser les fameux 1,5 degrés des accords de Paris en 2015, il réfléchit à la protection des habitants pour un “réchauffement de 2,8 degrés à 3,2 degrés à l’échelle mondiale. Cela voudrait dire 4 degrés en France ». 
A la raréfaction des combustibles et au réchauffement climatique, il convient d’ajouter la chute démographique des pays les plus riches. Alors que les premiers résultats des règles de trois se font connaitre pour les retraites, une majorité de français n’accepte pas la réalité du monde. Alors devant l’ininvitable appauvrissement à venir, le plus grand nombre cherchera des boucs-émissaires comme les très riches, puis les riches, puis ceux qui apparaissent riches. Regardons combien il a été facile à un peuple civilisé comme l’Allemagne du siècle dernier de sombrer dans la haine d’une minorité totalement inoffensive, les juifs, mais qui a servi de bouc-émissaire rassembleur pour permettre au dictateur de mettre en œuvre ses projets délirants et mortels.  
L’histoire a connu pareils revers. La chute de l’empire romain a été rapide, moins de deux cents ans. La population de Rome est passé de plus d'un million à quelques dizaines de milliers, celle de l’Empire a diminué de moitié. Dans la vieille région française du Limousin, les références aux ermites réfugiés dans les forêts, devenus saints, sont courantes. Le monde s’était retracté et les centres spirituels étaient dans les forêts auprès d’ermites avant que ne se bâtissent les premiers monastères. La grandeur de l’empire Romain ne fut jamais restaurée, en dehors de tout autre jugement. Rome retrouva sa population qu’en 1930 ! 
 
 Alain Le Falher

Mars 2023




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