GEOMETRIE ET FINESSE

 





Le monde est imparfait. Le monde est malade. Beaucoup, enfin presque, proposent des voies vers lesquelles certains de nos concitoyens peuvent s’engager pour apporter des améliorations à ce monde imparfait, à ce monde malade. Le monde est en quelque sorte comme un corps vivant, comme le nôtre. Mais l'analogie s'arrête là, car  nos corps ne sont pas tous semblables. Ils se distinguent par des caractéristiques qui, une fois définies, varient selon les lois statistiques de dispersion. Ainsi, il est admis, malgré les défauts et incomplétudes des critères retenus, que l’intelligence humaine se mesure par son quotient. Ce quotient intellectuel se répartit selon la courbe en cloche ou courbe de Gauss. Donc, la moitié d’une large population donnée, comme celle d’un pays comme la France, a un quotient inférieur à 100, 100 étant la moyenne qui se confond avec la médiane. Selon l’écart type retenu, qui est opposable, 20% de la population française a un quotient intellectuel inférieur à 85. La mesure du quotient intellectuel pourrait se résumer à la mesure des capacités en raisonnement logique. Cette mesure n'appréhende pas la capacité à saisir globalement et intuitivement des situations qui sont, par nature, difficiles à décrire et donc à présenter pour des tests dits cognitifs. Ces caractéristiques humaines, Blaise Pascal les a bien définies par l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse qu’il n’opposait pas. Il les voyait complémentaires mais “les esprits faux ne sont jamais ni fins ni géomètres”  écrivait-il.

Ainsi, une situation donnée qui nous apparaît injuste sous un certain regard ne l’est pas sous un autre regard. De nombreuses conditions de ce monde, le nôtre, nous apparaissent comme injustes, voire insoutenables. Nous avons tous une vision du monde qui se présente à nous comme une caractéristique intrinsèque. Toutefois, ces visions du monde peuvent se ranger de façon analogue au quotient intellectuel avec la même dispersion statistique. Ces visions dispersées du monde sont particulièrement mesurables et analysables lors des élections dans les pays démocratiques. En ne tenant pas compte des singularités historiques, économiques et sociales, le corps électoral se disperse selon cette même loi statistique de distribution. Alors, avant de porter un jugement sur telle ou telle situation donnée, il convient d’analyser ses propres  vues sur le monde, le fameux “Weltanschauung” de la philosophie allemande et de chercher, en soi, ses propres biais qui font que nous cherchons généralement à isoler de nos connaissances et savoirs que ce qui viendra conforter, et notre vision du monde et nos propres biais.

Une fois sur la voie étroite de la recherche de la vérité, allégée de notre subjectivité, jamais complètement, nous pouvons commencer l’analyse de la situation : quoi, qui, comment, où, combien. Ces principes de “problem solving” ont été codifiés depuis des dizaines d’années devant la complexité des problèmes posés par l’émergence de la révolution industrielle. Les séances de “brainstorming”  dûment orchestrées, animées, systématisées permettent de circonscrire la situation à examiner pour en extraire les états critiques susceptibles de freiner ou d'empêcher les objectifs à atteindre. Un objectif à atteindre ne peut pas être défini sans les risques collatéraux qui y sont attachés. Ainsi,  pendant la seconde guerre mondiale, les bombardements alliés occasionnèrent de très nombreuses pertes civiles, mais l’objectif de vaincre les puissances de l’axe prévalait sur ces pertes. Il en est ainsi de toute action humaine qui se déploie dans un environnement instable, incertain, voire hostile. Je reprends mon analogie avec notre corps. Son homéostasie, c’est-à-dire les caractéristiques d'un écosystème à résister aux changements et perturbations et ainsi conserver un état d'équilibre, peut faillir et ainsi ne pas suffire à assurer l’intégrité du système en question. Cette analogie, bien sûr, peut s’étendre à tout système défini, ou à définir, qui est placé dans le temps et l’espace,sous contrainte de son environnement. Le système en question peut être une organisation dépendante de l’homme, être une structure ou un ensemble de structures constituées en vue d’un objectif principal adossé à des objectifs intermédiaires qui conditionnent entièrement l’atteinte de l’objectif principal. En reprenant l’exemple des objectifs militaires, nous retiendrons les effets collatéraux, et pour un corps malade, la nécessité d’aider l'homéostasie défaillante par des apports extérieurs comme les médicaments. Le pourcentage de personnes, dans les pays riches, qui n’ont jamais pris de médicaments, tend vers zéro. Maintenant prenons un système comme l’organisation de la production agricole dans les pays développés. La définition et la nomenclature de ses caractéristiques seront élaborées, systématisées, en accord avec la définition des termes qui composent cette définition comme ses caractéristiques. Une fois cette phase achevée, tout contributeur à cette organisation fera l’inventaire des risques liés au fonctionnement du système en question. Immanquablement, des risques seront sous-évalués ou simplement omis. Des organisations à la périphéries, dans les pays démocratiques, pourront relever ces risques omis ou mal évalués et les soumettre aux instances dirigeantes des systèmes en question pour qu’ils puissent être pris en compte dans un premier temps, puis leurs effets évalués, et enfin leurs traitements mis en œuvre si nécessaire. Nous pouvons reprendre nos deux analogies : si le système de production agricole est considéré comme de première importance au regard d’effets collatéraux, alors il faut les estimer à ce prix; si le système de production agricole présente des aléas de fonctionnement comme un corps malade, il faudra estimer la pertinence des apports extérieurs à ce système comme nous le faisons pour un corps malade. 

La difficulté, dans une démocratie, de prendre en compte les organisations périphériques face aux grands systèmes, comme la production agricole, est une vision du monde de leurs acteurs qui est militante au point de rendre caduque une démarche d’échanges propre à trouver des solutions adéquates. En d’autres termes, le biais de ces acteurs est tel que le dialogue se change en confrontation et souvent le tenant d’un mode objectif et quantitatif, celui des grands systèmes, est qualifié du seul regard de ces acteurs militants, au lieu d’être quantifié selon les modes organisationnels agréés par les communautés scientifiques et industrielles. Comme ces organisations périphériques aux économies établies, sont militantes, elles ont un pouvoir de communication important et elles trouvent un écho favorable dans un grand nombre de médias. La population, dans sa majorité, prend fait et cause pour ces organisations et  finit par rejeter ce qu’elle considère comme des élites opposées à leurs satisfactions, au mieux, ou agissant contre leurs droits, au pire. La quantification du monde reste impossible, intellectuellement, par l’esprit de géométrie, à une majorité de la population et la mise en perspective, la hiérarchisation des situations, états et problèmes à résoudre, l’est encore moins, par l’esprit de finesse, à une une plus grande majorité de personnes. Blaise Pascal voyait deux travers à l’homme, sa paresse et son orgueil. La paresse de chercher la vérité et l'orgueil de se persuader de connaître. 


Alain Le Falher
Juin 2024



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