L'HOMME DE VERITE

 




Vers où ?


 

Maternité de Port-Royal, Paris, vendredi 19 avril 1980

- Un garçon Madame Lambert. Vous auriez pu connaître le sexe de votre enfant depuis bien longtemps. C'est ce que vous vouliez, un garçon ?

- On ne choisit pas Docteur… Heureusement… Dieu m'en garde !

- Vous aviez fait déjà deux fausses couches… Je comprends votre nervosité maintenant… Pourquoi n'avez-vous pas suivi le traitement pour diminuer les risques pendant cette nouvelle grossesse ?

- Je ne sais pas Docteur… Je ne sais pas.

- C'est très rare de voir une mère qui veut si ardemment un enfant, comme vous, et refuser un traitement. C'est que vous paraissiez alors très sereine, épanouie… Ce qui est encore plus rare après deux échecs…

- Ce n'étaient pas des échecs Docteur !

- Ah ! Bon ! Madame Lambert, Sarah Lambert… Sarah n'est pas un prénom très gaulois, n'est-ce pas !

- Pas plus que Marie, Marthe, Élisabeth ou Madeleine, Docteur !

- C'est vrai. Mais Sarah est plus rare toutefois. Remarquez, sur votre fiche je vois que votre nom de jeune fille est Abraham… Je peux comprendre votre prénom. Votre fils va vous être ramené d'ici quelques minutes. Par contre, vous ne semblez pas inquiété qu'on vous l'ait soustrait dès la délivrance.

- Non, j'ai confiance Docteur… Je sais qu'il va bien et que les infirmières vont bientôt revenir avec lui.

- Nous avons préféré l'examiner plus complètement. Comment allez-vous l'appeler ?

- Blaise, Docteur… Ce prénom peut vous surprendre… Mais c'est un engagement que je dois tenir… Blaise était le prénom de celui à qui je dois la vie de ceux qui me l'ont donnée… La vie était noire pour mes parents et ce Blaise l'a éclairée. De la douleur, ils sont passés à l'espoir de bonheur. À Blaise, j'ai promis que son nom ne sera jamais oublié par le prénom donné à mon premier fils, mon premier enfant.


10 novembre 1980.

- Bonjour Madame Lambert. Comment va votre petit Blaise ? Remarquez, je vais faire mon opinion après l'auscultation. Il a plus de six mois maintenant.

- Très bien Docteur… Très bien.

- C'est pour ça que vous n'êtes pas venus aux précédents examens ! Maintenant, peut-être avez-vous des questions ou des remarques. Toutes les mères se posent trop de questions !

- Non… En fait… Il ne babille pas comme les autres bébés que je connais. Mais, il me regarde, moi ou les autres personnes… avec un regard que je ne connais pas aux autres enfants ...

- Hum… C'est-à-dire ? Voyons cela… Il dort dans son couffin… J'ai toujours mauvaise grâce à réveiller les bébés !

- Je vais le faire… Je lui parle et il m'écoute.

- En effet Madame Lambert… Voilà une chose rare !

- Blaise… Mon chéri… Réveille-toi !

- Diable, voilà votre chérubin qui ouvre les yeux… Mon Dieu, quel regard, quelle intensité. Je n'ai jamais vu cela… Il veut me prendre la main… Mais avec ses deux mains… C'est inédit.

- Tu as bien fait, mon Blaise chéri… Laisse le Docteur t'examiner.

- Je suppose, Madame Lambert, qu'à la lecture de sa courbe de poids et de taille, qu'il mange bien, qu'il dort bien, et que tout va bien.

- Oui Docteur.


23 avril 1981.

- Madame Lambert, j'ai bien regardé votre fiche. C'était l'anniversaire de votre cher Blaise il y a quatre jours. Est-il toujours aussi obéissant qu'il y a six mois ?

- Oui, Docteur. Il ne parle pas encore, mais prononce des mots. Enfin, je crois qu'il s'agit de mots, qui sembleraient être des mots étrangers… Il marche déjà… Mais c'est normal… Enfin normal ! Je dirais qu'il se lève comme s'il était en recherche de quelque chose.

- Hum ! Nous continuons dans l'étrangeté avec notre petit Blaise !

- Docteur ! Blaise semble penser à quelque chose, puis il regarde autour de lui, Il se lève, se dirige vers un objet qu'il semble avoir reconnu, le prend, le regarde, l'examine et le repose alors que tous les autres enfants jettent souvent les objets, sans sembler se soucier d'autre chose.

-Hum… Blaise… Tu me regardes et tu me sembles très sérieux… Peut-être trop sérieux pour un si jeune enfant… Mais tu me souris ! Et quel sourire… Si lumineux !

- Il vous comprend Docteur.

- Les enfants comprennent beaucoup de choses Madame Lambert.


12 avril 1982. Bientôt deux ans.

- Madame Lambert, je vous attendais avec impatience. Vous avez manqué aux consultations obligatoires. Je vois que notre petit Blaise devient grand. Allons-nous discourir tous les trois ensembles ? Ton sourire, Blaise, est toujours aussi lumineux.

- Blaise, mon chéri, nous allons, en effet, parler avec le Docteur. Je sais que tu comprends ce que nous voulons dire mais que tu ne veux pas dire tous les mots.

- Madame Lambert, je conçois que votre petit Blaise parait fort sage, mais de là à dire qu'il ne veuille pas dire tous les mots… Quand même… Et quels mots ne voudrait-il pas dire ?

- Docteur, je ne dis les mots que vrais, à vous, comme à ma maman !

- Qu'est-ce que ça veut dire, Madame Lambert ?

- Docteur, vous pouvez parler à Blaise. Il vous comprendra !

- Madame Lambert, je crois que vous ne saisissez pas vraiment la situation. C'est-à-dire que Blaise est un enfant de deux ans, et qu'à cet âge… Croyez le médecin que je suis… Les enfants peuvent répéter des mots entendus sans en connaître le sens réel.

- Blaise, mon chéri, qu'en penses-tu ?

- Maman, le docteur ne souhaite pas me croire. Nous verrons cela plus tard.

- Écoutez Madame Lambert, votre fils a beaucoup de mémoire et cela n'engage en rien ses capacités intellectuelles… Quant à dire qu'il ne veuille dire que ce qu'il veut dire sur des critères qui lui sont propres… Allons, ce n'est pas le cas des enfants de deux ans… Jamais… Il répète… C'est tout… Et ces phrases apparaissent douées de raison… Par hasard.

- Blaise, que veux-tu dire au docteur ?

- Maman, rien de plus que ma première phrase.

- Voyez, Docteur, un hasard ne se répète pas deux fois.

- Oui, Madame Lambert, mais un perroquet répète toujours la même chose. 


12 avril 1983. Trois ans déjà.

- Ah ! Madame Lambert ! Je suis circonspect depuis un an, après votre dernière visite avec Blaise que je vois toujours aussi souriant, et plus grand heureusement ! Je ne vois rien qui cloche sur le bulletin de santé de Blaise… J'ai consulté mes collègues… Ici, en France… À l'étranger. J'ai quelques pistes… Rassurez-vous… Rien de grave… D'ailleurs, je ne vous vois absolument pas inquiète ! Madame Lambert, avez-vous pensé déjà à un risque de maladie dégénérative qui pourrait d'ici quelques années compromette le développement de cet enfant, et…

- Docteur, vous me parlez et nous sommes trois. Cet enfant s'appelle Blaise, et il a parfaitement compris ce que vous avez dit.

- Vous m'avez déjà dit ça Madame Lambert. Mais si je pose la question à vous, c'est parce que vous allez me répondre que votre enfant comprend mais ne veut employer que les mots qu'il veut. Je dis simplement qu'il nous manipule, involontairement certes, et qu'il n'utilise que les mots qu'il connaît, je dirais qu'il a mémorisé… Sans les connaître… Vous ne me regardez pas Madame Lambert !

- Docteur, je pense que Blaise souhaite vous dire quelque chose.

- Madame Lambert, vous surévaluez le niveau de votre enfant, vous le surprotégez, et tout ça avec un regard exempt de tout reproche… Je dirais que vous semblez être dans une béatitude la plus complète… Alors, mon petit bonhomme, qu'as-tu à me dire ?

- Docteur, je vous confirme que maman est dans une grande béatitude.

- Ah ! Mon bonhomme. Alors qu'est-ce qu'une grande béatitude et une béatitude la plus complète ?

- Docteur, cette béatitude est suffisamment qualifiée ainsi. Nous pouvons en rester là pour le moment.

- Oh… Oh… Réponse logique… C'est vrai que tu m'impressionnes… ! Tu parais en bonne santé… Ta mère est heureuse… Nous en resterons là, en effet.


11 avril 1985.

- Ah ! Madame Lambert ! Je ne vous vois pas souvent. Vous venez prendre Blaise tard dans la soirée, à l'école.

- Oui Madame Bertrand. Mais votre assistante est très disponible pour les enfants et Blaise parle toujours de vous deux avec beaucoup de plaisir et trouve l'école maternelle très agréable.

- Merci, merci Madame Lambert… Regardez-le, il joue avec ses camarades… Qu'en pensez-vous ?

- Que je pense quoi Madame Bertrand ?

- Vous trouvez son comportement habituel pour un enfant de cinq ans à peine ? Votre sourire, Madame Lambert, est désarçonnant… On voudrait vous sourire également, et être seulement bien avec vous… Comme ça… Simplement… Comme avec Blaise… Son sourire est encore plus fort… Si on peut parler de force pour un sourire …

- Donc, Madame Bertrand, vous me demandez si, en ce moment, Blaise a un comportement qui correspond à celui d'un enfant de cet âge.

- Oui, c'est cela Madame Lambert.

- Eh bien, en ce moment, il écoute ses camarades et plus particulièrement la petite fille blonde à sa droite. Que pourrais-je en conclure ?

- Eh bien, c'est cela Madame Lambert. Il écoute. Il ne joue pas, il écoute. Il est tout à fait capable de répéter les consignes propres à nos activités, il parle bien, il maîtrise bien la langue française, et quelquefois il prononce des mots que je ne comprends pas… Est-ce que vous lui apprenez une autre langue chez vous ?

- Non ! Madame Bertrand… Non. Mais nous recevons des personnes parlant d'autre langue et avec ces personnes nous parlons le plus souvent en anglais…

- Ce n'est pas de l'anglais… J'en suis sûr Madame Lambert !

- Nous… Nous avons bien reçu des personnes parlant allemand… Nous… Et d'autres parlant d'autres langues… Mais nous parlons français ou anglais… Ce qui est courant dans une grande ville comme Paris et dans notre arrondissement du cinquième.

- Je vous l'accorde Madame Lambert… Je vous l'accorde…

- À part cela Madame Bertrand ?

- Eh bien, à part cela… À part cela, il… Je veux dire… Blaise, votre petit garçon ne semble pas jouer… Je dirais… Qu'il joue à jouer…

- Je ne comprends pas Madame Bertrand ?

- Madame Lambert… Je crois que Blaise est fils unique…

- Non, il a un frère âgé de trois ans et une petite sœur de 18 mois.

- Et alors, comment joue-t-il avec eux ?

- Il est avec eux… Avec des jeux différents, certes… Mais comme beaucoup d'ainés … Il montre aux plus jeunes et participe à leurs jeux...

- Madame Lambert… Si son plus jeune frère lui prend un de ses jouets et l'accapare pour lui seul. Quelle est la réaction de Blaise ?

- Il laisse le jouet à son jeune frère… Et quelquefois, il reste auprès de lui pour lui montrer tous les bénéfices que son jeune frère pourrait en tirer.

- Madame Lambert… La quasi-totalité des enfants ne se comportent pas comme cela… Ils vont jusqu'à se battre pour garder leurs jouets. J'ai observé Blaise. Madame Lambert, vous savez, sans doute, que dès qu'un jouet, jusqu'à là hors du champ d'intérêt des enfants, devient la convoitise de l'un, alors c'est la lutte de tous contre tous pour s'accaparer le jouet. Tous, non, sauf Blaise.


22 avril 1987.

- Madame Lambert, Blaise vient d'avoir sept ans et va terminer sa première année d'école primaire. Je n'ai rien à dire sur Blaise. Et… c'est ce qui me préoccupe, j'ai déjà eu des élèves de CP calmes, un peu adultes je dirais, mais je crois que Blaise est le premier enfant ainsi.

- Que voulez-vous dire Madame Andrieux ? Que voulez-vous dire par ainsi ?

- Avant cela, je me risque à vous poser quelques questions. Je sais que vous avez deux autres enfants, que vous avez repris un travail… Est-ce que le papa est très présent ou pas ? Madame Lambert…

- Vous souhaitez savoir si mon mari s'occupe de nos enfants comme un père doit le faire. Question qui n'a d'intérêt que si on définit la fonction du père et si on caractérise les conditions socioéconomiques de la famille. 

- Oui bien sûr, Madame Lambert. Bien sûr. Je suis à juste titre préoccupée par l'attitude de Blaise. Je pense que cette attitude est similaire dans votre foyer, en famille, entre amis, en vacances. Vous ne pouvez pas avoir remarqué que Blaise se comporte différemment que les autres enfants de son âge… N'est-ce pas ?

- Je pense qu'il a plus de recul que la majorité des autres enfants, mais il participe à leurs jeux et il ne montre jamais un signe de lassitude ou un signe d'agressivité et…

- Et, Madame Lambert, c'est ce qui me pose question. Je vous suggère une journée de tests et d'analyses dans un centre médicopédagogique. 

- Vous en avez parlé à Blaise, Madame Andrieux ?

- Quoi ? Lui en parler ? À lui ! Directement ! Avant de vous en parler ! C'est inouï…

- Si vous le considérez vraiment plus adulte, entre guillemets, que les autres élèves, alors il vous donnera son sentiment et peut-être son avis, Madame Andrieux. Je l'appelle.

- Maman ?

- Mon chéri. Ton institutrice, Madame Andrieux, souhaite que tu passes une journée dans un centre médical pour tester ton comportement qui semble, aux yeux de Madame Andrieux, différent de l'ensemble de tes camarades de ton âge.

- Maman. Je comprends. Et l'attitude de Madame Andrieux envers moi montre bien son inquiétude. Cette journée ne m'éprouve pas et le résultat l'aidera dans son métier et sera toujours utile pour nous tous.

- Madame Lambert ! Voyez comme il nous répond ! Sa réponse est celle d'un adulte !

- Ah pas tous les adultes, certainement pas tous les adultes, Madame Andrieux.


12 mai 1987. Centre médico-pédagogique du cinquième arrondissement de Paris.

- Blaise, je suis le Docteur Ansard, et je te félicite pour ta patience durant toute cette après-midi pour répondre aux questions que t'ont posées toutes ces grandes personnes. Et puis, tu as bien rempli également tous ces questionnaires. Bravo ! Nous allons discuter un peu ensemble avant que ta maman vienne nous rejoindre. Tout d'abord, tu as peut-être quelque chose à me dire ?

- Monsieur Ansard, vous ne me semblez pas sûr de vous. Votre science n'en n'est pas une. Lorsque mon père me présente une science comme la physique, la chimie, les mathématiques, il est sûr de lui. Lorsque ma grand-mère me tient un discours sur le comportement de son chat, elle n'est pas sûre de son discours mais elle est sûre de l'amour qu'elle a pour son chat.

-Ah… Blaise, c'est en questionnant, comme nous le faisons, les enfants, que nous élevons notre niveau de connaissance. Ce ne sera jamais une science exacte, comme la chimie, mais nous connaîtrons mieux l'homme.

- Monsieur Ansard, nous ne disons jamais la vérité. Et, lorsque cette vérité est exprimée, elle provient de quelque chose qui est en dehors de nous. Nous en parlons avec mes parents. Mon père m'assure que ce sentiment est très ancien, et que de grands penseurs l'ont ressenti avec acuité. Platon me cite-t-il. Ma mère me tient les mêmes propos et me parle des prophètes. Ichiah me cite-t-elle.

- Blaise, de quel prophète me parles-tu ?

- Ichiah, Yesha ... diminutif de Yeshayahou ... Isaïe en français.

- Tu parles hébreux ! A Un précédent questionnaire, tu n'avais dit parler que français, et occasionnellement être présent à des conversations en anglais.

- C'est exact. J'avais simplement décidé de ne pas faire mention de mes connaissances de l'hébreu. Nous ne parlons pas cette langue. Ma mère me fait lire la Bible en français et en hébreu. Le jeu, car cela en est un, consiste à vocaliser les mots hébreux et les traduire et ainsi les mémoriser pour accéder à une plus grande autonomie dans ma compréhension du livre Tanak ou Bible en français.

- Blaise, qu'est-ce que le jeu pour toi ?

- Le jeu est le moyen plaisant d'apprendre, quoiqu'apprendre soit toujours plaisant et c'est aussi le moyen de m'unifier au groupe. Lorsqu'à l'école, le plus souvent dans la cour de récréation, un camarade me demande de jouer à quelque chose avec lui, je lui réponds toujours que je suis d'accord pour jouer à un jeu, qu'importe le jeu.

- Et tu aimes jouer, Blaise ?

- Oui, pour apprendre. À la condition que la méthode me paraisse bonne. Et encore oui pour rester uni avec le groupe de mes camarades d'école, et non pour jouer. J'aime le jeu ainsi, mais pas jouer.

- Joues-tu tout seul, comme les autres enfants ?

- Votre question semble dire que je ne suis pas comme les autres enfants. Oui, je joue tout seul, mais peu. Je crois avoir toujours eu le sentiment de jouer. C'est-à-dire que j'étais extérieur au jeu, de la même manière que maintenant lorsque je joue avec mes camarades d'école, je joue à leurs jeux, pour les raisons dont j'ai parlé tout à l'heure.

- Joues-tu de la musique ?

- Je joue du piano avec ma mère. J'ai appris le solfège. Alors je joue…

- Blaise, je te vois sourire très souvent. Ris-tu de bon cœur ?

- De bon cœur, oui !

- Qu'est-ce que la vérité pour toi ? Blaise.

- La vérité est que la somme des angles d'un triangle fait deux droits.

- Qui t'as montré cela Blaise ?

- Mon père me la montré. Mais c'est évident et c'est la vérité.

- Comme deux et deux font quatre !

- Oui et non. Oui car c'est vrai, mais c'est par ce que nous nous sommes mis d'accord sur les mots français pour dire les nombres. Il est plus commode de dessiner un petit signe qui veut dire deux et que toute la terre utilise ce petit signe. Mon père m'a montré des livres dans lesquels figurent ces signes qui sont compris par tous les savants de la terre. Je devrais dire scientifiques. Je ne comprends pas ce que veulent dire tous les signes, mais je sais que grâce à cela nous comprenons mieux le monde, et qu'ils sont vrais, parce que vérifiés. Avec mon père nous avons fait des expériences sur des plans inclinés pour mesurer le temps que parcourait une bille, sur diverses longueurs. Puis, il m'a montré comment, de toutes ces mesures, ont pouvaient en tirer une loi, et puis en déduire d'autres lois. Puis, il m'a montré comment il y a 400 ans, Galileo avait fait ces expériences. Il m'a montré aussi, avec ma mère, l’histoire de notre univers en ramenant cette histoire à une année ; la taille de l'univers en prenant la taille de la terre comme 1/1000 de millimètre ; la forme de la matière en supprimant l'espace entre les électrons et le noyau des atomes ; et…

- Ça va Blaise, ça va, c'est d'accord. Je te vois rayonner à l'évocation de tes découvertes. Je vais te poser une question. Mens-tu ?

- Mentir, ce n'est pas dire la vérité. Je mens à ma mère quand je lui dis qu'elle est belle et que je suis heureux avec elle alors que je la vois fatiguée et inquiète… Mais elle est belle…

- Non, Blaise, si tu chapardes quelque chose, et qu'un adulte te demande ce quelque chose et que tu tiens à cette chose, quelle sera ta réaction ?

- Monsieur Ansard, je n'ai jamais chapardé. Pourquoi n'osez-vous pas dire le mot voler ? Votre question n'est pas valable pour moi.


30 juin 1990. École Saint Joseph, Paris, cinquième arrondissement.

- Madame Lambert, Blaise vient d'avoir 10 ans et semble particulièrement mature pour son âge, n'est-ce pas ? Pour son entrée en sixième, il sera en avance. Sa grande taille et son air assuré devrait l'aider à s'insérer parmi ses camarades plus âgés. Vous avez souhaité lui faire apprendre le latin, ce dont je vous félicite Madame Lambert et…

- Monsieur Dupuy, c'est Blaise qui l’a souhaité… Et qui le souhaite encore.

- Bien, bien … Blaise, je me tourne vers toi. Pourquoi as-tu choisi d'apprendre le latin ?

- Pourquoi l'enseignez-vous ?

- Ah ! En effet, tu es bien mature, Blaise ! Notre institution scolaire catholique ne peut qu'être satisfaite de recevoir, parmi elle, un jeune enfant nommé Blaise. As-tu entendu parler de ton illustre prédécesseur portant le même prénom ?

- Monsieur Dupuy, je ne vois pas en quoi Blaise Pascal serait mon prédécesseur !

- Mon cher enfant, il me tarde de te faire découvrir les œuvres du grand penseur chrétien.

- Merci Monsieur Dupuy. J'ai lu, grâce à mes parents, les œuvres de Blaise Pascal.

- Oh ! Très bien, très bien. Et as-tu une œuvre préférée parmi toutes celles de notre illustre génie ?

- Oui. Le traité de l'équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l'air.


22 juin 1992

- Monsieur Ouvrard, cessez de ne parler qu'à moi. Blaise est présent. Je suis excédée, et fatiguée. Depuis presque toujours, en tout cas depuis trop longtemps, les personnes en charge de Blaise, en dehors de sa famille, le déconsidèrent. Je sais ce que vous allez me dire. Ce que tous me disent : il est trop jeune. C'est aux parents de décider … etc. etc.… Vous ne le considérez pas. Je suis désolée de me montrer sévère à votre endroit, voyez-vous ! Mais vous ne considérez même pas Blaise.

- Mais Madame Lambert… Enfin… Je croyais vous rencontrer seule… Et ensuite… Vous en auriez parlé avec votre fils… Et… On…

- Monsieur Ouvrard, poser la question à Blaise en termes concis et clairs.

- Eh bien Madame Lambert, est-ce que toi, Blaise… En fait, nous pensons… Je veux dire, le conseil de classe… Et le comité directeur de l'école que… Tu devrais aller directement en seconde… Nous en serions très fiers et ce serait un honneur pour…

- Maman, Monsieur Ouvrard. Je connais bien la situation. Toutefois, je souhaite rester dans le collège, et intégrer la classe de quatrième avec mes amis d'aujourd'hui.

- En tant que directeur de cet établissement scolaire, c'est de mon devoir de présenter les options les mieux adaptées aux élèves. Ces options vont du redoublement, au passage, du saut devrais-je dire, de classe, voir l'exceptionnel saut de deux classes.

- Monsieur Ouvrard, votre insistance me semble plus liée à la promotion de votre établissement qu'à l'écoute de Blaise.

- Mais Madame Lambert, il n'a rien dit, à part parler de ses amis… Des amis de cinquième… Qui garde pour la vie ses amis de cinquième ? … Personne !

- Monsieur le directeur ! Comment pouvez-vous prouver que personne ne garde ses amis de cinquième, et que je ne pourrai pas les garder. Et puis quand bien même que je ne puisse pas les garder, en ce moment il compte pour moi, comme je crois que je compte pour eux. Si ma mère n'a pas à porter d'objection, je rentrerai en quatrième en septembre prochain.


16 mai 1994

- Dis-moi, Blaise, tu as quel âge ?

- J'ai eu 14 ans le 19 avril, Monsieur le directeur.

- Ah ! Tu m'énerves avec ces « Monsieur le directeur » ! Alors, ce stage t'a plu ? Un grand magasin, que dis-je, un hypermarché du bricolage. Imposant, non ? Quand je pense que tu es venu tout seul, directement voir ma secrétaire, sans rendez-vous ! Je ne sais toujours pas ce que tu lui as raconté… Mais elle a pris sur elle de te prendre une semaine… Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? … Mon petit… Enfin, mon grand, plutôt !

-Je n'ai pas assez d'informations sur les métiers possibles, en fonction de mes aptitudes… Et la situation économique aura changé dans une dizaine d'années… Comme de nouveaux métiers auront émergé.

- Hum. Hum… En effet, en effet… Tu me tends quoi ? … Ton carnet de présence ?

- Non, Monsieur, c'est mon rapport de stage.

- Quoi ! Blaise ! Mais c'est un stage de découverte de l'entreprise ! Plutôt des vendeuses… Le peu que je t'ai vu… Tu semblais plus intéressé par elle… C'est une découverte aussi…

- À l'ombre des jeunes filles en fleurs… Monsieur.

- Hein… Alors, tu veux que je signe quelque chose. Mon petit !

- J'ai cru bon de rédiger un court rapport sur ma découverte, appelons cela ainsi, d'une entreprise de distribution spécialisée.

- Ah ! Je vois que tu as recopié la brochure. Avec ces ordinateurs, ça commence à être facile à faire. Enfin, il faut le faire quand même.

- Vous pouvez aller tout de suite à la conclusion, si votre temps est compté, comme je le pense, et ensuite revenir au développement.

- Parce qu’il y a un développement, alors ! Voyons, voyons… Hum… Je parcours… Je ne me rappelle pas ces diagrammes pour expliquer notre organisation sur nos brochures… Il faudra que je les relise… Conclusion… conclusion… Oui… Mais, où as-tu été prendre tout cela ? D'où ça vient ? Mais c'est insensé… C'est impossible ! De qui tiens-tu ces informations ? C'est du délire ! Mais je comprends… Tu t'es infiltré… Tu es certainement plus vieux que ce que tu dis… Et… Mais… Réponds… Qu'est-ce que tu me tends… Ton passeport… Tu as un passeport ! Ah oui… C'est bien toi… Ton nom… Ta date de naissance. Explique-moi.

- Monsieur, pendant cette semaine, j'ai observé les flux des marchandises, leurs mises en rayon, les mouvements des engins de manutention et l'action des opérateurs. J'ai relevé les temps de travail de ces opérateurs, en les mettant en regard des tâches avec consignes explicites, consignes implicites, et sans consigne. J'en suis arrivé à émettre l'hypothèse d'un risque de vol organisé dans les réserves d'outillage. Il reste à enquêter plus complètement. Tout cela est consigné en détail dans le rapport, Monsieur.

- Bien. Quelle est la profession de ton père, Blaise ? … Blaise Lambert… Ça ne me semble pas un nom dangereux !

- Il est médecin hospitalier.

- Bon … ta mère ?

- Elle est…

- C'est inutile… Elle ne travaille pas… Au… Enfin… Ça n’a pas d’importance … Bon… Écoute Blaise… Quel drôle de prénom quand même… Dis-moi. As-tu déjà menti ?

- Non, Monsieur.

- Tu es bien catégorique. N'as-tu jamais menti à quelqu'un qui te demandait s’il est beau, belle, ou si son tableau est bien peint… Enfin toutes ces simagrées sociales … Hein !

- Je ne crois pas, Monsieur.

- Tu es moins catégorique. Si tu ne mens jamais, ou son corollaire, tu dis toujours la vérité, tu finiras dans la solitude et le désespoir. Ah… La vérité… Ta vérité…

- Il n'y a pas deux vérités, Monsieur !


2 juillet 1997

- Mais maman, j'ai eu mon bac avec mention… très bien. Je suis reçu en prépa dans plusieurs lycées à Paris… Je désire vraiment aller aux États-Unis ces huit semaines…

- Mon petit Blaise… Oui, je sais… Tu n'aimes pas que je t'appelle mon petit…

- Mais je serai toujours ton petit Blaise… Eh bien, non, en réalité… J'étais… Donc, je ne suis plus. Pour évoquer ce temps passé, tu as tes souvenirs auxquels tu peux associer des photographies.

- Oui je sais… Je sais… Je sens que tu as raison… Mais c'est plus fort que moi… Je t'aime, voilà tout…

- Ma chère maman… Tu aimes plus le bébé… Disons l'enfant que j'étais… Que l'adolescent que je suis.

- Ne dit pas cela… Mon… Mon Blaise…

- Maman… Ton amour est figé dans la dépendance… Et dans l'image d'un enfant idéalisé… Tu peux garder un grand plaisir à évoquer tes souvenirs de mon enfance… Mais en tant que mère, tu dois m'accompagner dans toutes les étapes de ma vie en me laissant de plus en plus de liberté, jusqu'à ce que je devienne indépendant.

- Oui… Oui… Oui… Je le sais… Je le sais.

- Bien. Je vais donc partir aux USA. Je serais accueilli chez les Parker à New York et je prendrai un premier job avec leur aide.

- Mais tu es bien jeune… Tout seul… Enfin pas complètement, avec les Parker… Qui sont charmants… Cette ville… Ces dangers !

- Maman… J'aimerais que tu me fasses confiance.


22 septembre 1997

- Salut… Blaise.

- Salut… Blanche.

- Tu connais mon prénom !

- Toi aussi… Tu connais mon prénom !

- Là, Blaise, c'est facile… D'abord, par ce que personne ne porte un prénom comme celui-là… Et puis tu as déjà bluffé toute la promo avec tes résultats… Tu es le surdoué… Question, Blaise ! Pourquoi n'as-tu pas intégré plus tôt ? Tu pouvais sauter des classes… Comme Rémy !

- Je ne souhaitais pas être comme Rémy !

- Bonne réponse de Blaise… Tu voulais être mûr pour les filles ?

- J'ai toujours été dans des écoles mixtes, donc cette année de prépa n'apporte pas de différence. J'interprète ta question posée sous une forme affirmative comme une proposition d'échange sur ce sujet.

- Échangeons alors ! … Qu'est-ce que tu penses des filles ?

- Cette question est bien vaste. Je suppose que tu souhaites aborder la question des rapports qui opposent et rapprochent les deux sexes.

- On peut se rapprocher en étant du même sexe aussi ! Qu'en penses-tu ?

- Je pense que 90 % environ des personnes, peut-être plus, dans la culture occidentale, ont une attirance naturelle, issus de notre codage génétique, vers le sexe opposé.

- Tu penses que les 10 % restants sont décodés ?

- Non. Ils sont ainsi. Voilà tout.

- Tu ne penses pas que nous sommes plutôt façonnés culturellement pour appartenir à un genre.

- Oui. La culture participe à notre appartenance à un genre masculin ou féminin. Mais la culture est le produit de l'homme, lui-même produit de…

- Et toi Blaise… Tu es dans les 90 % ?

- Oui. Jusqu'à maintenant, je n'ai pas d'éléments contraires… Qui me fasse penser le contraire.

- Éléments… Eh bien, de toi, je n'ai aucun élément !


14 juin 2002

- Monsieur Blaise Lambert, vous avez donc… 22 ans… Depuis peu… Vous êtes ici, dans mon bureau, par ce que nous souhaitons vous intégrer dans notre groupe industriel automobile. Je suppose que vos résultats à l'École Centrale vous ont ouvert d'autres postes. Je conçois que votre choix n'est pas définitif. Toutefois, sachez que notre souhait peut se transformer en réelle volonté.

- Merci de votre confiance, Monsieur Dupuy. Je vous sais gré de votre profond désir.

- Mais vous gardez votre liberté. J'en conviens. Vous avez toujours eu un vif intérêt pour les sciences appliquées, sans rechercher toutefois les filières trop traditionnelles comme polytechnique ou normale Sup. Votre parcours est remarquable. Il m'est difficile, devant tant de talent, de vous poser des questions plus personnelles. Mais vos réponses nous aideront dans l'orientation de votre parcours dans notre groupe.… Parcours qui pourrait vous mener au plus haut… Alors… Quels sont vos intérêts… Les plus forts… Voire des passions… En dehors… Je dirais… Dans le temps qui nous est laissé… Où aimez-vous passez vos vacances ?… Animez-vous des associations ? … Pratiquez-vous des sports ? … De la musique ? … D'autres formes d’art ? … Je vous pose ces questions un peu fermées pour vous éviter des généralités qui m'apprendraient peu de choses sur vous.

- J'ai beaucoup de temps libre. Une troisième année d'école d'ingénieur le permet. Mes intérêts ne me semblent pas limités. Sans doute, mes facultés d'acquisition des connaissances me permettent de repousser ces limites. Les vacances… Toujours un pays nouveau, riche ou pauvre, avec un étroit contact avec les autochtones… Les associations… les clubs de l'école… business… Chine… Le sport, pratique régulière à l'école : musculation, exercices physiques, course à pied réalisable en tout lieu et par tous les temps sans la contrainte sociale. La musique, piano et guitare régulièrement. Dessins et peintures, occasionnellement.

- Vous ne semblez pas aimer les sports collectifs.

- Non, en effet… Je participe aux matchs à l'école, football, volley-ball, handball, basket-ball… Ce sont des jeux de balles.

- Vous êtes un peu dédaigneux !

- Je ne suis pas dédaigneux. Je n'ai pas d'intérêt à regarder un match de balles. Je participe à un match pour participer au lien social, Monsieur Dupuy. Je comprends aisément que vous souhaitiez mieux me connaître afin, comme vous l'avez dit, d'orienter au mieux mon parcours. Mais c'est à la vue de mes résultats opérationnels que vous prendrez les décisions concernant ma place dans l'entreprise. Toutefois, je souhaite préparer une maîtrise en administration des affaires aux États-Unis. Je vous suggère de nous revoir, dans un an, à mon retour.


8 janvier 2004

- Blaise, merci d'avoir interrompu, très momentanément, votre mission en Italie, pour ce petit briefing à notre siège parisien.

- Monsieur Cognais, il m'aurait été impossible de me soustraire à l'obligation de répondre positivement à une convocation.

- Ce n'est pas une convocation, Blaise. C'est une invitation à participer à la réunion du groupe Alpha, d'une part, et puis mon souhait de faire le point avec vous, d'autre part. Si vous aviez été vraiment bloqué… Je vous aurais vu un autre jour… Alors, depuis six mois que vous êtes parmi nous… Nous allons évaluer ensemble vos possibilités de placement dans notre groupe… Qu'avez-vous à dire avant de commencer ?

- Monsieur Cognais, je n'ai rien à dire pour le moment.

- Mon cher Blaise, vous avez fortement impressionné toutes les personnes avec qui vous avez travaillé, aussi bien vos hiérarques que vos collaborateurs. J'ai été également très impressionné par vos rapports et vos mémos que j'ai pu consulter. Tout est en ligne maintenant sur notre intranet, et il m'est facile de prendre connaissance des documents de chacun. Je souhaite, mon cher Blaise, vous mettre dans une situation où l'opérationnel prendra le pas sur l'organisationnel. Je souhaite que vous preniez la direction, par intérim, pour quelques semaines, de notre unité, petite unité, de production des accessoires embarqués Kaolin, en Bretagne.

- Monsieur Cognais, j'ai 23 ans et il me semble être un peu trop jeune pour prendre une telle responsabilité.

- Blaise… C'est un baptême du feu… De cette expérience vous sortirez fortifié… grandi… prêt à affronter d'autres challenges. Vous avez l'âge de Napoléon lors de sa prise de Toulon le 18 décembre 1793, il était né le 15 août 1769… Bien… Oui… Vous êtes un peu plus jeunes de quelques mois… C'est bien.


15 avril 2004

- C'est votre anniversaire dans trois jours, Blaise… Oh ! la … 24 ans déjà… Vous en avez fait des choses pendant ces 24 ans… Bon ! Cet intérim se passe assez bien quand même !

- Grâce à vous Gaëlle, et aussi à toute l'équipe. C'est une direction collégiale… Vous, aux ressources humaines, vous faites écran à mon inexpérience… Surtout face aux représentants syndicaux.

- Ils ne sont pas méchants, et ils vous aiment bien… D'après mes retours !

- Oui… Vous avez un réseau d'indicateurs assez performant.

- Ce ne sont pas des indicateurs… Ils sont soucieux de garder leur job et craignent une surenchère syndicale qui mènerait à des suppressions de postes… Voire plus.

- Oui, je sais cela, Gaëlle. Tout peut arriver très vite. J'ai été vraiment surpris par la fermeture de l'unité Capa à Lyon. Nous n'avions pas été informés dans le groupe. Je ne crois pas, non plus, que l'équipe dirigeante de Capa ait été informée en avance par rapport à la date de l'annonce officielle parue dans les médias. Je pense que cela a dû être le vendredi soir, et dès le lundi, tout s'est mis en place. J'ai eu au téléphone René Martin, il était encore choqué par tout cela. Il a du mal à supporter sa mission de communication qui consiste à faire passer une décision financière sous les oripeaux de la crise économique du secteur. Il me semble qu'il me serait insupportable de pratiquer un tel double langage, Gaëlle.


10 mai 2004

- Blaise, j'ai beaucoup de respect pour vous, et même d'admiration. Votre profil intellectuel est tel, que je dois dire qu'il m'a rendu un moment jaloux… Cette affaire de réductions de postes à l'unité Kaolin est mal tombée pour vous. J'avais pensé que votre grande capacité intellectuelle vous aurait aidé à gérer ce conflit. J'ai dit conflit, alors qu'il s'agit simplement d'un déroulement standard de la vie d'une entreprise. Nous créons des emplois, le monde change, et nous en supprimons… Blaise, pourquoi avez-vous pris le parti des syndicats et mis notre groupe dans l'obligation de vous remplacer, toutes affaires cessantes. J'ai mis cela sur le compte d'une fatigue passagère. Peut-être êtes-vous amoureux ? Un élan romantique ? Ôtez-moi ce doute et je vous redonne votre chance. Notre chance ! Sinon, vous devrez vous cantonner à la recherche et développement dans nos filiales étrangères.

- Monsieur Cognais, les éléments donnés par les représentants syndicaux étaient justes, et nos éléments étaient incomplets, tronqués et certains étaient de simples mensonges. J'ai cru à une erreur de la part de nos services, mais le dossier qu'il m'a été donné de défendre, était un dossier de direction construit dans le but de désinformer au mieux, et de nuire au pire… De nuire à l'intégrité des représentants syndicaux, surtout au délégué Gilbert Nivelle à qui il devait être reproché une conduite qu'il n'a jamais eue. Celui qui devait être considéré comme le plus dangereux était celui qui était le mieux informé et le plus intelligent. Je ne défends pas les syndicats contre le groupe. Je ne suis pas syndiqué et je réprouve les débordements de certains, mais il n'y a qu'une vérité.

- Blaise… Je suis maintenant vraiment persuadé que vous êtes un romantique. Je vous octroie une semaine de congés et nous nous revoyons.


8 septembre 2005

- Blaise, écoute ! Ta boîte t'a mis sur la voie de garage… Voie dorée, certes, mais voie de garage. Tu as été humilié par ta direction qui a fait un séminaire de cadres Sups en bloquant 80 % du temps pour présenter le syndrome de Blaise ou le refus du réel et les utopies perdantes… Accepte notre proposition.

- Jean-Louis, je suis touché par tant de sollicitude, mais le parti me propose un plan similaire à celui du groupe… Je deviens conseiller municipal et conseiller général en mars 2008, et je suis en poste pour un parachutage… C'est aussi tracé que dans le groupe.

- Oui Blaise, mais le groupe, c'est le fric, et nous, c'est la justice.

- Jean-Louis, oui, mais c'est plus que caricatural, plus que réducteur, et…

- Il faut bien faire court… Je te comprends… Écoute, les gars du syndicat n'avaient jamais vu un directeur les écouter, vérifier et puis prendre leur parti… Jamais vu…

- Jean-Louis, je n'ai pas pris leur parti… Ils disaient… Enfin, un particulièrement, Gilbert Nivelle, disait vrai.

- Blaise… Nous disons vrai également… Devant la justice… Devant le pouvoir du capital.

- Arrête, Jean-Louis ! La vérité n'a jamais fait bon ménage avec la justice. En théorie oui, mais hélas, je perçois l'impossibilité de les faire cohabiter. À mon grand désespoir. Oui, grand désespoir…

- Comment ça… Allez ! Reprends-toi Blaise… Le combat pour la vérité amène la justice.

- À la fin des temps… Peut-être… À la fin des temps. Si je dénonce tous les mensonges et si j'assène toutes les vérités, je serai rejeté dès ma première intervention… J'en suis sur… Le parti est un groupe… Il est construit pour survivre parmi et contre les autres groupes… Comme mon employeur actuel… Il ne peut survivre que temporairement… Et dans cette lutte pour survivre… Il préférera sa logique de survie à l'affrontement de la vérité… Sa passion l'emportera sur l'intelligence.

- Blaise, arrête ! Tu te montres la parfaite illustration du syndrome de Blaise. Le réel est en dessous de nos états d'esprit… Je veux dire que ce que nous croyons être la vérité… est une partie de la vérité, et qu'il y a une autre vérité… qui est celle de notre combat.

- Merci, Jean-Louis, de répéter inlassablement ton discours. Mais aujourd'hui, répéter un discours, qui est une suite de mots choisis pour générer dans l'esprit de l'auditeur militant un stimulus positif comme égalité, justice, participation… C'est accepter demain une action sans discernement pour faire advenir un bonheur qui ne sera que celui de ceux qui mettent cette action en œuvre.

- Tu exagères. Le stalinisme est terminé depuis longtemps.

- Bien sûr, Jean-Louis. Mais j'ai été le témoin d'autant de mensonges dans notre parti que dans le groupe qui m'emploie. Commençons par nous corriger nous-mêmes, avant de vouloir corriger les autres. Soyons un modèle contre lesquels se heurteront les autres. Nous ne craindrons rien, et notre chemin sera paisible.

- Mais solitaire, et certainement pas paisible.


17 avril 2006

Vous avez de la chance, c'est lundi de Pâques et notre bureau est ouvert. Alors, vous voulez devenir notre compagnon. Vous êtes jeune… Ah oui, votre carte d'identité… En effet, jeune… Au chômage… Sans famille, vous dites… En fait, c'est vous qui décidez… Vous connaissez Emmaüs… C'est bien… Qu'est-ce que vous cachez sous cette grande barbe… Ce n'est pas commun, comme prénom, Blaise !


Alain Le Falher









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